Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/327

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dage ; car, vous comprenez, un combat d’artillerie ne peut pas nous aller, à nous. D’abord, le Leycester, si c’est lui, et c’est lui, je parierais cent nègres contre dix, a quelque chose comme une douzaine de canons de plus que nous ; en outre, il a Bourbon, l’Île de France, Rodrigue, pour se réparer. Nous, nous avons la mer, l’espace, l’immensité. Toute terre nous est ennemie. Nous avons donc besoin de nos ailes avant tout.

— Et en cas d’abordage ?

— Alors la chance se rétablit. D’abord nous avons des canons obusiers, ce qui n’est peut-être pas bien scrupuleusement permis sur un bâtiment de guerre, mais qui est un des privilèges que nous autres pirates, nous concédons à nous-mêmes de notre autorité privée. Ensuite, comme la frégate est sur le pied de paix, elle n’a probablement que 270 hommes d’équipage, et nous en avons, nous, 260, ce qui, comme vous le voyez, surtout avec des drôles pareils aux miens, remet au moins les choses sur le pied d’égalité. Tranquillisez-vous donc, mon père, et comme voilà la cloche qui sonne, que cela ne nous empêche pas de souper.

En effet, il était sept heures du soir, et le signal du repas venait de se faire entendre avec sa ponctualité accoutumée.

Georges prit donc le bras de Sara, Pierre Munier les suivit, et tous trois descendirent dans la cabine de Jacques, transformée à cause de la présence de Sara en salle à manger.

Jacques demeura un instant en arrière pour donner quelques ordres à maître Tête-de-Fer, son second.

C’était quelque chose de curieux à voir, même pour tout autre œil que pour l’œil d’un marin, que l’intérieur de la Calypso. Comme un amant embellit sa maîtresse par tous les moyens possibles, Jacques avait embelli sa corvette de tous les atours dont on peut enrichir une nymphe de la mer. Les escaliers d’acajou étaient luisants comme des glaces ; les garnitures de cuivre, frottées trois fois par jour, brillaient comme de l’or ; enfin tous les instruments de carnage, haches, sabres, mousquetons, disposés en dessins fantastiques autour des sabords par lesquels les canons accroupis allongeaient leur cou de bronze, semblaient des ornements disposés par un habile décorateur dans l’atelier de quelque peintre en réputation.