Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/334

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ses yeux semblaient vouloir forcer l’obscurité à s’ouvrir devant eux ; enfin, une fois il s’arrêta, et, au lieu de continuer sa promenade, il s’appuya sur le couronnement de la poupe.

En effet les ténèbres commençaient à se dissiper, quoique les premières lueurs du jour tardassent encore à paraître, et dans ce crépuscule naissant, qui s’éclaircissait pareil à un brouillard qui se dissipe pour faire place à une aube bleuâtre, Jacques croyait distinguer, à quinze milles à peu près, une frégate faisant même route que la corvette.

À ce même moment, et comme il étendait la main pour faire remarquer à Georges ce point presque imperceptible, le matelot en vigie cria :

— Une voile à l’arrière !

— Oui, dit Jacques, comme se parlant à lui-même ; oui, je l’ai vue ; oui, ils ont suivi notre sillage comme s’il était resté creusé derrière nous. Seulement, au lieu de passer entre l’île Plate et le Coin de Mire, ils sont passés entre l’île Plate et l’île Ronde, c’est ce qui leur a fait perdre deux heures ; il faut qu’il y ait sur le bâtiment un homme de mer qui sache un peu bien son métier.

— Mais je ne vois rien, dit Georges.

— Tiens, là, là ! regarde, reprit Jacques ; on voit jusqu’aux basses voiles, et lorsque le bâtiment monte sur la vague, on voit, pardieu ! l’avant qui se soulève comme un poisson qui sort la tête de l’eau pour respirer.

— En effet, dit Georges ; oui, tu as raison ; je le vois.

— Et que voyez-vous, Georges ? demanda une douce voix derrière le jeune homme.

Georges se retourna et aperçut Sara.

— Ce que je vois, Sara ? Un fort beau spectacle : celui du soleil qui se lève ; mais, comme il n’y a pas de plaisir parfaitement pur sur la terre, ce spectacle est un peu gâté par l’aspect de ce bâtiment, qui, comme vous le voyez, malgré les calculs et les espérances de mon frère, n’a point perdu notre piste.

— Georges, dit Sara, Dieu, qui nous a si miraculeusement réunis jusqu’à présent, ne détournera pas son regard de nous au moment où nous avons le plus besoin de sa protection. Que cette vue ne vous empêche donc pas de l’adorer dans ses