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IV.

QUATORZE ANS APRÈS.


C’est jour de fête à l’Île de France, le jour où l’on signale la vue d’un vaisseau européen ayant l’intention d’entrer dans le port ; c’est que, sevrés depuis longtemps de la présence maternelle, la plupart des habitants de la colonie attendent avec impatience quelque nouvelle des peuples, des familles, ou des hommes d’outre-mer ; chacun espère quelque chose, et tient, du plus loin qu’il l’aperçoit, ses regards attachés sur le messager maritime qui lui apporte soit la lettre d’un ami, soit le portrait d’une amie, soit enfin cette amie en personne ou cet ami lui-même.

Car ce vaisseau, objet de tant de désirs et source de tant d’espérances, c’est la chaîne éphémère qui unit l’Europe à l’Afrique, c’est le pont volant jeté d’un monde à l’autre ; aussi aucune nouvelle ne se répand-elle aussi rapidement dans toute l’île que celle-ci, qui jaillit du piton de la Découverte : — Il y a un vaisseau en vue.

Nous disons du piton de la Découverte, parce que, presque toujours, le navire forcé d’aller chercher le vent d’est, passe devant le grand port, côtoie la terre à une distance de deux ou trois lieues, double la pointe des Quatre-Cocos, s’engage entre l’île Plate et le Coin de Mire, et, quelques heures après avoir franchi ce passage, apparaît à l’entrée du Port-Louis, dont les habitants, prévenus dès la veille par les signaux qui ont traversé l’île, pour annoncer son approche, l’attendent en foule, pressés sur le quai.

D’après ce que nous avons dit de l’avidité avec laquelle tout le monde attend à l’Île de France les nouvelles d’Europe, on ne s’étonnera sans doute point de l’affluence qui, par une belle matinée de la fin du mois de février 1824, vers les onze heures du matin, s’était portée sur tous les points d’où l’on pouvait voir entrer dans la rade du Port-Louis le Leycester, belle frégate de 36 canons, signalée depuis la veille à deux heures de l’après-midi.