Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/8

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irisés, vous offrent leur ombre odorante. Suivez-moi ; venez.

Venez à Brest, cette sœur guerrière de la commerçante Marseille, sentinelle armée qui veille sur l’Océan, et là, parmi les cent vaisseaux qui s’abritent dans son port, choisissez un de ces bricks à la carène étroite, à la voilure légère, aux mâts allongés comme en donne à ses hardis pirates le rival de Walter Scott, le poétique romancier de la mer. Justement nous sommes en septembre, dans le mois propice aux longs voyages. Montez à bord du navire auquel nous avons confié notre commune destinée, laissons l’été derrière nous, et voguons à la rencontre du printemps. Adieu Brest, salut Nantes, salut Bayonne, adieu France.

Voyez-vous, à notre droite, ce géant qui s’élève à dix milles pieds de hauteur, dont la tête de granit se perd dans les nuages au-dessus desquels elle semble suspendue, et dont à travers l’eau transparente on distingue les racines de pierres qui vont s’enfonçant dans l’abîme ? C’est le pic de Ténériffe, c’est l’ancienne Nivaria, c’est le rendez-vous des aigles de l’Océan que vous voyez tourner autour de leurs aires et qui vous paraissent à peine gros comme des colombes. Passons, ce n’est point là le but de notre course, ceci n’est que le parterre de l’Espagne, et je vous ai promis le jardin du monde.

Voyez-vous, à notre gauche, le rocher nu et sans verdure que brûle incessamment le soleil des tropiques ? C’est le roc où fut enchaîné six ans le Prométhée moderne ; c’est le piédestal où l’Angleterre a élevé elle-même la statue de sa propre honte ; c’est le pendant du bûcher de Jeanne d’Arc et de l’échafaud de Marie Stuart ; c’est le Golgotha politique, qui fut dix-huit ans le pieux rendez-vous de tous les navires ; mais ce n’est point encore là que je vous mène. Passons, nous n’avons plus rien à y faire ; la régicide Saint-Hélène est veuve des reliques de son martyr.

Nous voilà au cap des tempêtes. Voyez-vous cette montagne qui s’élance au milieu des brumes ? C’est ce même géant Adamastor qui apparut à l’auteur de la Lusiade. Nous passons devant l’extrémité de la terre ; cette pointe qui s’avance vers nous, c’est la proue du monde. Aussi, regardez comme l’Océan s’y brise furieux mais impuissant ; car ce vaisseau-là ne craint pas ses tempêtes, car il fait voile pour le port de l’éter-