Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/89

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II.

Mon lit est un p’tit natt’malgace,
Mon l’oreillé morceau bois blanc,
Mon gargoulette un’vié calbasse
Où moi met l’arack, zour de l’an.
Quand mon femm’pour fair p’tit ménaze,
Sam’di comme ça vini soupé,
Moi fair’cuir, dans mon p’tit la caze
Banane sous la cend’grillé.

III.

À mon coffre n’a pas serrure,
Et jamais moi n’a fermé li.
Dans bambou comme ça sans ferrure
Qui va cherché mon langouti ?
Mais dimanch’ si gagné zournée
Moi l’achette un morceau d’tabac,
Et tout la s’maine moi fais fumée
Dans grand pipe, à moi carouba.

Il faudrait que le lecteur eût vécu au milieu de cette race d’hommes simples et primitifs, pour qui tout est matière à sensation, pour avoir une idée, malgré la pauvreté des rimes et la simplicité des idées, de l’effet produit par la chanson d’Antonio. À la fin du premier et du second couplet il y avait eu des rires et des applaudissements. À la fin du troisième il y eut des cris, des vivats, des hourras. Seul, le jeune nègre, qui avait déjà manifesté son mépris pour Antonio, haussa les épaules avec une grimace de dégoût.

Quant à Antonio, au lieu de jouir de son triomphe comme on aurait pu le croire, et de se rengorger au bruit des applaudissements, il appuya ses coudes sur ses genoux, laissa tomber sa tête dans ses mains et parut se livrer à une profonde méditation. Or comme Antonio était le boute-en-train obligé, avec le silence d’Antonio la tristesse revint de nouveau s’emparer de l’assemblée. On le pria alors de conter quelque histoire ou de chanter une autre chanson. Mais Antonio fit la