Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/92

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mais cependant notre véracité d’historien nous force à avouer que quelques voix seulement s’échappant des cœurs les plus candides de la société répondirent affirmativement.

— Ainsi, continua Antonio, il est donc juste que Toukal me donne un peu de tabac pour fumer dans mon gourgouri, n’est-ce pas, Cambeba ?

— C’est juste, s’écria Cambeba, enchanté de ce que la contribution frappait sur un autre que lui.

Et Toukal fut forcé de partager son tabac avec Antonio.

— Maintenant, continua Antonio, l’autre jour, j’ai perdu ma cuiller de bois. Je n’ai pas d’argent pour en acheter, parce que, au lieu de travailler, je vous ai chanté des chansons et vous ai conté des histoires ; il est donc juste que Bonhomme me donne une cuiller de bois pour manger ma soupe. N’est-ce pas Toukal ?

— C’est juste, s’écria Toukal, enchanté de n’être pas le seul imposé par Antonio. Et Antonio tendit la main à Bonhomme qui lui donna la cuiller qu’il venait d’achever.

— Maintenant, reprit Antonio, j’ai du tabac pour mettre dans mon gourgouri, et j’ai une cuiller pour manger ma soupe, mais je n’ai pas d’argent pour acheter de quoi faire du bouillon. Il est donc juste que Castor me donne le joli petit tabouret auquel il travaille, afin que j’aille le vendre au marché, et que j’achète un petit morceau de bœuf. N’est-ce pas, Toukal ? n’est-ce pas, Bonhomme ? n’est-ce pas, Cambeba ?

— C’est juste ! s’écrièrent Toukal, Bonhomme et Cambeba ; c’est juste ! et Antonio, moitié de bonne volonté, moitié de force, tira des mains de Castor le tabouret dont il venait de clouer le dernier bambou.

— Maintenant, continua Antonio, j’ai chanté une chanson qui m’a déjà fatigué, et je vais vous conter une histoire qui me fatiguera encore. Il est donc juste que je prenne des forces en mangeant quelque chose : n’est-ce pas, Toukal ? n’est-ce pas, Bonhomme ? n’est-ce pas, Castor ?

— C’est juste ! répondirent d’une voix les trois contribuants.

Cambeba eut une idée terrible.

— Mais, dit Antonio en montrant une double mâchoire, large et étincelante comme celle d’un loup, mais je n’ai rien pour mettre sous ma petite dent.