Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/52

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disons-nous, un petit fourneau avec son auvent, son soufflet de forge et ses grilles ; c’était ce fourneau, employé en ce moment à chauffer à blanc un creuset et à faire bouillir une mixture qui laissait échapper dans ce tuyau, que nous avons vu sortir par l’impériale, cette mystérieuse fumée sujet incessant d’étonnement et de curiosité pour les passants de tout pays, de tout âge et de tout sexe.

En outre, parmi les fioles, les boîtes, les livres et les cartons semés à terre avec un pittoresque désordre, on voyait des pinces de cuivre, des charbons trempant dans différentes préparations, un grand vase à moitié plein d’eau, et, pendant au plafond à des fils, des paquets d’herbes qui semblaient, les unes récoltées de la veille, les autres cueillies depuis cent ans.

Cet intérieur exhalait une odeur pénétrante que dans un laboratoire moins grotesque on eût appelée un parfum.

Au moment où entrait le voyageur, le vieillard, roulant son fauteuil avec une adresse et une agilité merveilleuses, se rapprocha du fourneau et se mit à écumer sa mixture avec une attention qui tenait du respect ; puis, distrait par l’apparition qui s’offrait à lui, il renfonça de la main droite le bonnet de velours, jadis noir, qui empaquetait sa tête jusqu’au-dessous des oreilles, et duquel s’échappaient quelques mèches rares de cheveux brillants comme des fils d’argent, retirant de dessous la roulette de son fauteuil, avec une dextérité remarquable, le pan de sa longue robe de soie ouatée, que dix ans d’usage avaient transformée en une guenille sans couleur, sans forme, et surtout sans continuité.

Le vieillard paraissait être de fort mauvaise humeur, et grommelait tout en écumant sa mixture et en relevant sa robe :

— Il a peur, le maudit animal ; et de quoi, je vous le demande ? Il a secoué ma porte, ébranlé mon fourneau, et renversé un quart de mon élixir dans le feu. Acharat ! au nom de Dieu, abandonnez moi cette bête-là dans le premier désert que nous traverserons.

Le voyageur sourit.

— D’abord, maître, dit-il, nous ne traversons plus de déserts,