Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/73

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La porte s’ouvrit ; mais à l’aspect de l’étranger et de sa voiture étrange, La Brie, pris à l’improviste et qui croyait ouvrir à Gilbert seulement, voulut refermer la porte.

— Pardon, pardon, l’ami, dit le voyageur ; mais c’est bien ici que nous venons ; il ne faut point nous jeter la porte au nez. — Cependant, monsieur, je dois prévenir monsieur le baron qu’une visite inattendue…

— Ce n’est pas la peine de le prévenir, croyez-moi. Je risquerai sa mauvaise mine, et si l’on me chasse, ce ne sera, je vous en réponds, qu’après que je me serai réchauffé, séché, repu. J’ai entendu dire que le vin était bon par ici ; vous devez en savoir quelque chose, hein ?

La Brie, au lieu de répondre à l’interrogation, essaya de résister ; mais c’était un parti pris de la part du voyageur, et il fit avancer les deux chevaux et la voiture dans l’avenue, tandis que Gilbert refermait la porte, ce qui fut fait en un clin d’œil. La Brie, alors, se voyant vaincu, prit le parti d’aller annoncer lui-même sa défaite, et, prenant ses vieilles jambes à son cou, il s’élança vers la maison en criant de toute la force de ses poumons :

— Nicole Legay ! Nicole Legay !

— Qu’est-ce que Nicole Legay ? demanda l’étranger, continuant de s’avancer vers le château avec la même tranquillité.

— Nicole, monsieur ? reprit Gilbert avec un léger tremblement.

— Oui, Nicole, celle qu’appelle maître La Brie.

— C’est la femme de chambre de mademoiselle Andrée, monsieur.

Cependant aux cris de La Brie une lumière apparut sous les arbres, éclairant une charmante figure de jeune fille.

— Que me veux-tu, La Brie, demanda-t-elle, et pourquoi tout ce tapage ?

— Vite, Nicole, vite, cria la voix chevrotante du vieillard ; va annoncer à monsieur qu’un étranger, surpris par l’orage, lui demande l’hospitalité pour cette nuit.

Nicole ne se le fit point répéter, et elle s’élança si légèrement vers le château, qu’en un instant on l’eut perdue de vue.