Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/95

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Le baron se renversa en arrière dans un accès de frayeur ou plutôt de stupéfaction, qui donna aussitôt l’avantage à l’étranger.

— Mais c’est de la sorcellerie cela ! s’écria-t-il ; il y a cent ans, vous eussiez été brûlé, mon cher hôte. Eh ! mon Dieu ! il me semble qu’on sent ici une odeur de revenant, de pendu, de roussi.

— Monsieur le baron, dit en souriant Balsamo, un vrai sorcier n’est jamais ni pendu, ni brûlé, mettez-vous bien cela dans l’esprit ; ce sont les sots qui ont affaire au bûcher ou à la corde. Mais vous plaît-il que nous en restions là pour ce soir, car voilà mademoiselle de Taverney qui s’endort ? Il paraît que les discussions métaphysiques et les sciences occultes ne l’intéressent que médiocrement.

En effet, Andrée, subjuguée par une force inconnue, irrésistible, balançait mollement son front, comme une fleur dont le calice vient de recevoir une trop forte goutte de rosée.

Mais aux derniers mots du baron, elle fit un effort pour repousser cette invasion dominatrice d’un fluide qui l’accablait ; elle secoua énergiquement la tête, se leva, et tout en trébuchant d’abord, puis soutenue par Nicole, elle quitta la salle à manger.

En même temps qu’elle disparut aussi la face collée aux carreaux, et que, depuis longtemps déjà, Balsamo avait reconnue pour celle de Gilbert.

Un instant après on entendit Andrée attaquer vigoureusement les touches de son clavecin.

Balsamo l’avait suivie de l’œil tandis qu’elle traversait, chancelante, la salle à manger.

— Allons, dit-il, triomphant, lorsqu’elle eut disparu, je puis dire comme Archimède : Eurêka[1].

— Qu’est-ce qu’Archimède ? demanda le baron.

— Un brave homme de savant que j’ai connu il y a deux mille cent cinquante ans, dit Balsamo.

  1. Je l’ai trouvé.