Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/36

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soie, pour opérer seul cette grande œuvre du rajeunissement et de la transformation ? Te figures-tu que, n’ayant plus de forces, je pourrai composer seul mon élixir de vie ? Te figures-tu que, couché sur le flanc, amolli par les boissons rafraîchissantes, ma seule nourriture, j’aurai l’esprit bien présent, si tu ne m’y aides pas, pour faire, abandonné à mes seules ressources, le minutieux travail de ma régénération, dans lequel, tu le sais bien, malheureux, je dois être aidé et secouru par un ami ?

— Je suis là, maître, je suis là ; voyons, répondez, dit Balsamo tout en réinstallant presque malgré lui le vieillard dans son fauteuil, comme il eût fait d’un hideux enfant ; voyons, répondez ; vous n’avez pas manqué d’eau distillée, puisque, comme je vous le disais, j’en vois là trois pleines carafes ; cette eau a bien été recueillie au mois de mai, vous le savez ; voilà vos biscuits d’orge et de sésame ; je vous ai moi-même administré les gouttes blanches que vous avez prescrites.

— Oui, mais l’élixir ! l’élixir n’est pas composé ; tu ne te rappelles pas cela, tu n’y étais pas : c’était ton père, ton père, plus fidèle que toi ; mais, à ma dernière cinquantaine, je composai l’élixir un mois d’avance. J’avais fait retraite sur le mont Ararat. Un juif me fournit pour son poids en argent un enfant chrétien qui tétait encore sa mère ; je l’ai saigné selon le rite ; je pris les trois dernières gouttes de son sang artériel, et en une heure mon élixir, auquel il ne manquait plus que cet ingrédient, fut composé ; aussi ma régénération de cinquantaine se passa-t-elle merveilleusement bien ; mes cheveux et mes dents tombèrent pendant les convulsions qui succédèrent à l’absorption de cet élixir bienheureux ; mais ils repoussèrent, les dents, assez mal, je le sais, parce que je négligeai cette précaution d’introduire mon élixir dans ma gorge avec un conduit d’or. Mais mes cheveux et mes ongles repoussèrent dans cette seconde jeunesse, et je me pris à revivre comme si j’avais quinze ans… Mais voilà que j’ai revieilli de nouveau, voilà que je touche au dernier terme ; voilà que si l’élixir n’est pas prêt, que s’il n’est pas renfermé dans cette bouteille, que si je ne donne pas tout soin à cette œuvre, la science d’un siècle sera anéantie avec moi, et que