Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis le moment du départ, pas une parole n’était sortie de la bouche de celui-ci.

Le prince n’eut pas même besoin de faire sentir la bride ou les genoux à sa monture, le noble animal sauta le fossé avec la même ardeur qu’avaient montré les deux autres chevaux ; et, au hennissement avec lequel il franchit l’obstacle, plusieurs hennissements répondirent des profondeurs de la forêt.

Le prince voulut arrêter son cheval, car il craignait qu’on ne le conduisît à quelque embuscade.

Mais il était trop tard ; l’animal était lancé de façon à ne plus sentir le mors ; cependant, en voyant ses deux compagnons ralentir sa course, il ralentit aussi la sienne, et François se trouva dans une sorte de clairière où huit ou dix hommes à cheval, rangés militairement, se révélaient aux yeux par le reflet de la lune qui argentait leur cuirasse.

— Oh ! oh ! fit le prince, que veut dire ceci, monsieur ?

— Ventre-saint-gris ! s’écria celui auquel s’adressait la question, cela veut dire que nous sommes saufs.

— Vous, Henri, s’écria le duc d’Anjou stupéfait, vous, mon libérateur ?

— Eh ! dit le Béarnais, en quoi cela peut-il vous étonner, ne sommes-nous point alliés ?

Puis, jetant les yeux autour de lui pour chercher un second compagnon.

— Agrippa, dit-il, où diable es-tu ?

— Me voilà, dit d’Aubigné, qui n’avait pas encore desserré les dents ; bon ! si c’est comme cela que vous arrangez vos chevaux… Avec cela que vous en avez tant !

— Bon ! bon ! dit le roi de Navarre. Ne gronde pas, pourvu qu’il en reste deux, reposés et frais, avec lesquels nous puissions faire une douzaine de lieues d’une seule traite, c’est tout ce qu’il me faut.

— Mais où me menez-vous donc, mon cousin ? demanda François avec inquiétude.

— Où vous voudrez, dit Henri ; seulement allons-y vite, car d’Aubigné a raison ; le roi de France a des écuries mieux montées que les miennes, et il est assez riche pour crever une vingtaine de chevaux, s’il a mis dans sa tête de nous rejoindre.

— En vérité, je suis libre d’aller où je veux ? demanda François.

— Certainement, et j’attends vos ordres, dit Henri.

— Eh bien, alors, à Angers.

— Vous voulez aller à Angers ? À Angers, soit : c’est vrai, là vous êtes chez vous.

— Mais vous, mon cousin ?

— Moi, en vue d’Angers, je vous quitte, et je pique vers la Navarre, où ma bonne Margot m’attend ; elle doit même fort s’ennuyer de moi !

— Mais personne ne vous savait ici ? dit François.

— J’y suis venu vendre trois diamants de ma femme.

— Ah ! fort bien.

— Et puis savoir un peu, en même temps, si décidément la Ligue m’allait ruiner.

— Vous voyez qu’il n’en est rien.

— Grâce à vous, oui.

— Comment ! grâce à moi ?

— Eh ! oui, sans doute : si au lieu de refuser d’être chef de la Ligue, quand vous avez su qu’elle était dirigée contre moi, vous eussiez accepté et fait cause commune avec mes ennemis, j’étais perdu. Aussi, quand j’ai appris que le roi avait puni votre refus de la prison, j’ai juré que je vous en tirerais, et je vous en ai tiré.

— Toujours aussi simple, se dit en lui-même le duc d’Anjou ; en vérité, c’est conscience que de le tromper.

— Va, mon cousin, dit en souriant le Béarnais, va dans l’Anjou. Ah ! monsieur de Guise, vous croyez avoir ville gagnée ! mais je vous envoie là un compagnon un peu bien gênant ; gare à vous !

Et comme on leur amenait les chevaux frais que Henri avait demandés, tous deux sautèrent en selle et partirent au galop, accompagnés d’Agrippa d’Aubigné, qui les suivait en grondant.


CHAPITRE LIII.

LES AMIES.


Pendant que Paris bouillonnait comme l’intérieur d’une fournaise, madame de Monsoreau, escortée par son père et deux de ces serviteurs qu’on recrutait alors comme des troupes auxiliaires pour une expédition, s’acheminait vers le château de Méridor, par étapes de dix lieues à la journée.

Elle aussi commençait à goûter cette liberté précieuse aux gens qui ont souffert. L’azur du ciel et de la campagne, comparé à ce ciel toujours menaçant, suspendu comme un crêpe sur les tours noires de la Bastille, les feuillages déjà verts, les belles routes se perdant comme de longs rubans onduleux dans le fond des bois ; tout cela lui paraissait frais et jeune, riche et nouveau, comme si réellement elle fût sortie du cercueil où la croyait plongée son père.

Lui, le vieux baron, était rajeuni de vingt ans. À le voir d’aplomb sur ses étriers, et talonnant le vieux Jarnac, on eût pris le noble seigneur pour un de ces époux barbons qui accompagnent leur jeune fiancée en veillant amoureusement sur elle.

Nous n’entreprendrons pas de décrire ce long voyage. Il n’eut d’autres incidents que le lever et le coucher du soleil. Quelquefois impatiente, Diane se jetait à bas de son lit, lorsque la lune argentait les vitres de sa chambre d’hôtellerie, réveillait le baron, secouait le lourd sommeil de ses gens, et l’on partait, par un beau clair de lune, pour gagner quelques lieues sur le long chemin que la jeune femme trouvait infini.

Il fallait, d’autres fois, la voir, en pleine marche, laisser passer devant Jarnac, tout fier de devancer les autres, puis les serviteurs, et demeurer seule en arrière sur un tertre, afin de regarder dans la profondeur de la vallée si quelqu’un ne suivait pas… Et lorsque la vallée était déserte, lorsque Diane n’avait aperçu que les troupeaux épars dans le pâturage, ou le clocher silencieux de quelque bourg dressé au bout de la route, elle revenait plus impatiente que jamais.

Alors son père, qui l’avait suivie du coin de l’œil, lui disait :

— Ne crains rien, Diane.

— Craindre quoi, mon père ?

— Ne regardes-tu pas si M. de Monsoreau te suit ?

— Ah ! c’est vrai… Oui, je regardais cela, disait la jeune femme avec un nouveau regard en arrière.

Ainsi, de crainte en crainte, d’espoir en déception, Diane arriva, vers la fin du huitième jour, au château de Méridor, et fut reçue au pont-levis par madame de Saint-Luc et son mari, devenus châtelains en l’absence du baron.

Alors commença pour ces quatre personnes une de ces existences comme tout homme en a rêvé en lisant Virgile, Longus et Théocrite.

Le baron et Saint-Luc chassaient du soir au matin. Sur les traces de leurs chevaux s’élançaient les piqueurs. On voyait des avalanches de chiens rouler du haut des collines à la poursuite d’un lièvre ou d’un renard, et quand le tonnerre de cette cavalcade furieuse passait dans les bois, Diane et Jeanne, assises l’une auprès de l’autre sur la mousse, à l’ombre de quelque hallier, tressaillaient un moment, et reprenaient bientôt leur tendre et mystérieuse conversation.

— Raconte-moi, disait Jeanne, raconte-moi tout ce qui t’est arrivé dans la tombe, car tu étais bien morte pour nous… Vois, l’aubépine en fleurs nous jette ses dernières miettes de neige, et les sureaux envoient leurs parfums enivrants. Un doux soleil se joue aux grandes branches des chênes. Pas un souffle dans l’air, pas un être vivant dans le parc, car les daims se sont enfuis tout à l’heure en sentant trembler la terre, et les renards ont bien vite gagné le terrier… Raconte, petite sœur, raconte.

— Que te disais-je ?

— Tu ne me disais rien. Tu es donc heureuse ?… Oh ! cependant ce bel œil noyé dans une ombre bleuâtre, cette pâleur nacrée de tes joues, ce vague élan de paupière, tan-