Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/145

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— Mon Dieu ! que dites-vous donc là, Diane ?

— Hélas ! comte, je dis la vérité ! j’ai le droit de rendre malheureux M. de Monsoreau, qui m’a poussée à cette extrémité ; mais je n’ai ce droit qu’en m’abstenant de rendre un autre heureux. Je puis lui refuser ma présence, mon sourire, mon amour ; mais si je donnais ces faveurs à un autre, je volerais celui-là qui, malgré moi, est mon maître.

Bussy écouta patiemment toute cette morale, fort adoucie, il est vrai, par la grâce et la mansuétude de Diane.

— À mon tour de parler, n’est-ce pas ? dit-il.

— Parlez, répondit Diane.

— Avec franchise ?

— Parlez !

— Eh bien, de tout ce que vous venez de dire, madame, vous n’avez pas trouvé un mot au fond de votre cœur.

— Comment ?

— Écoutez-moi sans impatience, madame, vous voyez que je vous ai écoutée patiemment ; vous m’avez accablé de sophismes.

Diane fit un mouvement.

— Les lieux communs de morale, continua Bussy, ne sont que cela quand ils manquent d’application. En échange de ces sophismes, moi, madame, je vais vous rendre des vérités. Un homme est votre maître, dites-vous ; mais avez-vous choisi cet homme ? Non, une fatalité vous l’a imposé, et vous l’avez subi. Maintenant, avez-vous dessein de souffrir toute votre vie des suites d’une contrainte si odieuse ? Alors c’est à moi de vous en délivrer.

Diane ouvrit la bouche pour parler, Bussy l’arrêta d’un signe.

— Oh ! je sais ce que vous m’allez répondre, dit le jeune homme. Vous me répondrez que, si je provoque M. de Monsoreau et si je le tue, vous ne me reverrez jamais. — Soit, je mourrai de douleur de ne pas vous revoir ; mais vous vivrez libre, mais vous vivrez heureuse, mais vous pourrez rendre heureux un galant homme, qui dans sa joie, bénira quelquefois mon nom, et dira : Merci ! Bussy, merci ! de nous avoir délivrés de cet affreux Monsoreau ; et vous-même, Diane, vous qui n’oseriez me remercier vivant, vous me remercierez mort.

La jeune femme saisit la main du comte et la serra tendrement.

— Vous n’avez pas encore imploré, Bussy, dit-elle, et voilà que vous menacez déjà.

— Vous menacer ? Oh ! Dieu m’entend, et il sait quelle est mon intention ; je vous aime si ardemment, Diane, que je n’agirai point comme ferait un autre homme. Je sais que vous m’aimez. Mon Dieu ! n’allez pas vous en défendre, vous rentreriez dans la classe de ces esprits vulgaires dont les paroles démentent les actions. Je le sais, car vous l’avez avoué. Puis, un amour comme le mien, voyez-vous, rayonne comme le soleil, et vivifie tous les cœurs qu’il touche ; ainsi je ne vous supplierai pas, je ne me consumerai pas en désespoir. Non, je me mettrai à vos genoux que je baise, et je vous dirai, la main droite sur mon cœur, sur ce cœur qui n’a jamais menti ni par intérêt ni par crainte, je vous dirai : Diane, je vous aime, et ce sera pour toute ma vie ! Diane, je vous jure à la face du ciel que je mourrai pour vous, que je mourrai en vous adorant. Si vous me dites encore : Partez, ne volez pas le bonheur d’un autre, je me relèverai sans soupir, sans un signe, de cette place, où je suis si heureux cependant, et je vous saluerai profondément en me disant : Cette femme ne m’aime pas ; cette femme ne m’aimera jamais. Alors je partirai et vous ne me reverrez plus jamais. Mais, comme mon dévouement pour vous est encore plus grand que mon amour, comme mon désir de vous voir heureuse survivra à la certitude que je ne puis pas être heureux moi-même, comme je n’aurai pas volé le bonheur d’un autre, j’aurai le droit de lui voler sa vie en y sacrifiant la mienne : voilà ce que je ferai, madame, et cela de peur que vous ne soyez esclave éternellement, et que ce ne vous soit un prétexte à rendre malheureux les braves gens qui vous aiment.

Bussy s’était ému en prononçant ces paroles. Diane lut dans son regard si brillant et si loyal toute la vigueur de sa résolution : elle comprit que ce qu’il disait, il allait le faire ; que ces paroles se traduiraient indubitablement en action, et, comme la neige d’avril fond aux rayons du soleil, sa rigueur se fondit à la flamme de ce regard.

— Eh bien ! dit-elle, merci de cette violence que vous me faites, ami. C’est encore une délicatesse de votre part, de m’ôter ainsi jusqu’au remords de vous avoir cédé. Maintenant, m’aimerez-vous jusqu’à la mort, comme vous dites ? maintenant, ne serai-je pas le jeu de votre fantaisie, et ne me laisserez-vous pas un jour l’odieux regret de ne pas avoir écouté l’amour de M. de Monsoreau ? Mais non, je n’ai pas de conditions à vous faire ; je suis vaincue, je suis livrée ; je suis à vous, Bussy, d’amour, du moins. Restez donc, ami, et maintenant que ma vie est la vôtre, veillez sur nous.

En disant ces mots, Diane posa une de ses mains si blanches et si effilées sur l’épaule de Bussy, et lui tendit l’autre, qu’il tint amoureusement collée à ses lèvres ; Diane frissonna sous ce baiser.

On entendit alors les pas légers de Jeanne, accompagnés d’une petite toux indicatrice : elle rapportait une gerbe de fleurs nouvelles et le premier papillon qui se fût encore hasardé peut-être hors de sa coque de soie : c’était une atalante aux ailes rouges et noires.

Instinctivement, les mains entrelacées se désunirent.

Jeanne remarqua ce mouvement.

— Pardon, mes bons amis, de vous déranger, dit-elle, mais il nous faut rentrer sous peine que l’on vienne nous chercher ici. Monsieur le comte, regagnez, s’il vous plaît, votre excellent cheval qui fait quatre lieues en une demi-heure, et laissez-nous faire le plus lentement possible, car je présume que nous aurons fort à causer, les quinze cents pas qui nous séparent de la maison. Dame ! voici ce que vous perdez à votre entêtement, monsieur de Bussy : le dîner du château, qui est excellent surtout pour un homme qui vient de monter à cheval et de grimper par-dessus les murailles, et cent bonnes plaisanteries que nous eussions faites, sans compter certains coups d’œil échangés qui chatouillent mortellement le cœur. — Allons, Diane, rentrons.

Et Jeanne prit le bras de son amie et fit un léger effort pour l’entraîner avec elle.

Bussy regarda les deux amies avec un sourire. Diane, encore à demi retournée de son côté, lui tendit la main.

Il se rapprocha d’elles.

— Eh bien ! demanda-t-il, c’est tout ce que vous me dites ?

— À demain, répliqua Diane, n’est-ce pas convenu ?

— À demain seulement ?

— À demain et à toujours !

Bussy ne put retenir un petit cri de joie ; il inclina ses lèvres sur la main de Diane ; puis, jetant un dernier adieu aux deux femmes, il s’éloigna ou plutôt s’enfuit.

Il sentait qu’il lui fallait un effort de volonté pour consentir à se séparer de celle à laquelle il avait si longtemps désespéré d’être réuni.

Diane le suivit du regard jusqu’au fond du taillis, et, retenant son amie par le bras, écouta jusqu’au son le plus lointain de ses pas dans les broussailles.

— Ah ! maintenant, dit Jeanne, lorsque Bussy fut disparu tout à fait, veux-tu causer un peu avec moi, Diane ?

— Oh ! oui, dit la jeune femme tressaillant comme si la voix de son amie la tirait d’un rêve. Je t’écoute.

— Eh bien ! vois-tu, demain j’irai à la chasse avec Saint-Luc et ton père.

— Comment ! tu me laisseras seule au château ?

— Écoute, chère amie, dit Jeanne ; moi aussi, j’ai mes principes de morale, et il y a certaines choses que je ne puis consentir à faire.

— Oh ! Jeanne, s’écria madame de Monsoreau en pâlissant, peux-tu bien me dire de ses duretés-là, à moi, à ton amie ?

— Il n’y a pas d’amie qui tienne, continua mademoiselle de Brissac avec la même tranquillité. Je ne puis continuer ainsi.

— Je croyais que tu m’aimais, Jeanne, et voilà que tu me perces te cœur, dit la jeune femme avec des larmes dans les