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vent dans son alcôve la tapisserie qui s’agitait derrière la reine.

Catherine s’approcha de François, et d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre épouvantée :

— La colère du roi ! fit-elle, cette furieuse colère qui vous menace !

— Il en est de ce danger comme de l’autre, madame ; le roi mon frère est dans une furieuse colère, je le crois ; mais je suis sauf.

— Vous croyez ? fit-elle avec un accent capable d’intimider les plus audacieux.

La tapisserie trembla.

— J’en suis sûr, répondit le duc ; et c’est tellement vrai, ma bonne mère, que vous êtes venue vous-même me l’annoncer.

— Comment cela ? dit Catherine inquiète de ce calme.

— Parce que, continua-t-il après un nouveau regard à la cloison, si vous n’aviez été chargée que de m’apporter ces menaces, vous ne fussiez pas venue, et qu’en pareil cas le roi aurait hésité à me fournir un otage tel que Votre Majesté.

Catherine effrayée leva la tête.

— Un otage, moi ! dit-elle.

— Le plus saint et le plus vénérable de tous, répliqua-t-il en souriant et en baisant la main de Catherine, non sans un autre coup d’œil triomphant adressé à la boiserie.

Catherine laissa tomber ses bras, comme écrasée ; elle ne pouvait deviner que Bussy, par une porte secrète, surveillait son maître et le tenait en échec sous son regard, depuis le commencement de l’entretien, lui envoyant du courage et de l’esprit à chaque hésitation.

— Mon fils, dit-elle enfin, ce sont toutes paroles de paix que je vous apporte, vous avez parfaitement raison.

— J’écoute, ma mère, dit François, vous savez avec quel respect ; je crois que nous commençons à nous entendre.


CHAPITRE LXVII.

LES PETITES CAUSES ET LES GRANDS EFFETS.


Catherine avait eu dans cette première partie de l’entretien un désavantage visible. Ce genre d’échecs était si peu prévu, et surtout si inaccoutumé, qu’elle se demandait si son fils était aussi décidé, dans ses refus, qu’il le paraissait, quand un tout petit événement changea tout à coup la face des choses.

On a vu des batailles aux trois quarts perdues être gagnées par un changement de vent, et vice versa ; Marengo et Waterloo en sont un double exemple. Un grain de sable change l’allure des plus puissantes machines.

Bussy était, comme nous l’avons vu, dans un couloir secret, aboutissant à l’alcôve de M. le duc d’Anjou, placé de façon à n’être vu que du prince ; de sa cachette, il passait la tête par une fente de la tapisserie aux moments qu’il croyait les plus dangereux pour sa cause.

Sa cause, comme on le comprend, était la guerre à tout prix : il fallait se maintenir en Anjou tant que Monsoreau y serait, surveiller ainsi le mari, et visiter la femme.

Cette politique extrêmement simple, compliquait cependant au plus haut degré toute la politique de France ; aux grands effets les petites causes.

Voilà pourquoi, avec force clins d’yeux, avec des mines furibondes, avec des gestes de tranche-montagne, avec des jeux de sourcils effrayants, enfin, Bussy poussait son maître à la férocité. Le duc, qui avait peur de Bussy, se laissait pousser, et on l’a vu effectivement on ne peut plus féroce.

Catherine était donc battue sur tous les points et ne songeait plus qu’à faire une retraite honorable, lorsqu’un petit événement, presque aussi inattendu que l’entêtement de M. le duc d’Anjou, vint à sa rescousse.

Tout à coup, au plus vif de la conversation de la mère et du fils, au plus fort de la résistance de M. le duc d’Anjou, Bussy se sentit tirer par le bas de son manteau. Curieux de ne rien perdre de la conversation, il porta, sans se retourner, la main à l’endroit sollicité, et trouva un poignet ; en remontant le long de ce poignet il trouva un bras et après le bras une épaule, et après l’épaule un homme.

Voyant alors que la chose en valait la peine, il se retourna.

L’homme était Remy.

Bussy voulait parler, mais Remy posa un doigt sur sa bouche, puis il attira doucement son maître dans la chambre voisine.

— Qu’y a-t-il donc, Remy ? demanda le comte, très impatient, et pourquoi me dérange-t-on dans un pareil moment ?

— Une lettre, dit tout bas Remy.

— Que le diable t’emporte ! pour une lettre, tu me tires d’une conversation aussi importante que celle que je faisais avec Monseigneur le duc d’Anjou.

Remy ne parut aucunement désarçonné par cette boutade.

— Il y a lettre et lettre, dit-il.

— Sans doute, pensa Bussy ; d’où vient cela ?

— De Méridor.

— Oh ! fit vivement Bussy, de Méridor ! Merci, mon bon Remy, merci !

— Je n’ai donc plus tort ?

— Est-ce que tu peux jamais avoir tort ? Où est cette lettre ?

— Ah ! voilà ce qui m’a fait juger qu’elle était de la plus haute importance, c’est que le messager ne veut la remettre qu’à vous seul.

— Il a raison. Est-il là ?

— Oui.

— Amène-le.

Remy ouvrit une porte et fit signe à une espèce de palefrenier de venir à lui.

— Voici M. de Bussy, dit-il en montrant le comte.

— Donne ; je suis celui que tu demandes, dit Bussy.

Et il lui mit une demi-pistole dans la main.

— Oh ! je vous connais bien, dit le palefrenier en lui tendant la lettre.

— Et c’est elle qui te l’a remise !

— Non, pas elle, lui.

— Qui, lui ? demanda vivement Bussy en regardant l’écriture.

— M. de Saint-Luc !

— Ah ! ah !

Bussy avait pâli légèrement ; car, à ce mot : lui, il avait cru qu’il était question du mari et non de la femme, et M. de Monsoreau avait le privilège de faire pâlir Bussy chaque fois que Bussy pensait à lui.

Bussy se retourna pour lire, et pour cacher en lisant cette émotion que tout individu doit craindre de manifester quand il reçoit une lettre importante, et qu’il n’est pas César Borgia, Machiavel, Catherine de Médicis ou le diable.

Il avait eu raison de se retourner, le pauvre Bussy, car à peine eut-il parcouru la lettre que nous connaissons, que le sang lui monta au cerveau et battit ses yeux en furie : de sorte que, pâle qu’il était, il devint pourpre, resta un instant étourdi, et sentant qu’il allait tomber, fut forcé de se laisser aller sur un fauteuil près de la fenêtre.

— Va-t’en, dit Remy au palefrenier abasourdi de l’effet qu’avait produit la lettre qu’il apportait.

Et il le poussa par les épaules.

Le palefrenier s’enfuit vivement ; il croyait la nouvelle mauvaise, et il avait peur qu’on ne lui reprît sa demi-pistole.

Remy revint au comte, et le secouant par le bras :

— Mordieu ! s’écria-t-il, répondez-moi à l’instant même ; ou, par saint Esculape, je vous saigne des quatre membres.

Bussy se releva ; il n’était plus rouge, il n’était plus étourdi, il était sombre.

— Vois, dit-il, ce que Saint-Luc a fait pour moi.

Et il tendit la lettre à Remy.

Remy lut avidement.

— Eh bien, dit-il, il me semble que tout ceci est fort beau, et M. de Saint-Luc est un galant homme. Vivent les gens d’esprit pour expédier une âme en purgatoire ; ils ne s’y reprennent pas à deux fois.

— C’est incroyable ! balbutia Bussy.