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tir ; je vous ai suivi quelque temps, de peur de me compromettre en vous parlant ; mais, maintenant que nous sommes bien seuls, me voilà. Bonjour, frocard. Ventre de biche ! je te trouve maigri.

— Et vous, monsieur Chicot, je vous trouve engraissé, parole d’honneur.

— Je crois que nous nous flattons tous les deux.

— Mais, qu’avez-vous donc, monsieur Chicot ? dit le moine, vous paraissez bien chargé.

— C’est un quartier de daim que j’ai volé à Sa Majesté, dit le Gascon ; nous en ferons des grillades.

— Cher monsieur Chicot ! s’écria le moine, et sous l’autre bras ?

— C’est un flacon de vin de Chypre envoyé par un roi à mon roi.

— Voyons, dit Gorenflot.

— C’est mon vin à moi ; je l’aime beaucoup, dit Chicot en écartant son manteau, et toi, frère moine ?

— Oh ! oh ! s’écria Gorenflot en apercevant la double aubaine et en s’ébaudissant si fort sur sa monture, que Panurge plia sous lui ; oh ! oh !

Dans sa joie, le moine leva les bras au ciel, et d’une voix qui fit trembler à droite et à gauche les vitres des maisons, il chanta, tandis que Panurge l’accompagnait en hihannant :

La musique a des appas,
Mais on ne fait que l’entendre.
Les fleurs ont le parfum tendre,
Mais l’odeur ne nourrit pas.
Sans que notre main y touche,
Un beau ciel flatte nos yeux,
Mais le vin coule en la bouche ;
Mais le vin se sent, se touche
Et se boit ; je l’aime mieux
Que musique, fleurs et cieux.

C’était la première fois que Gorenflot chantait depuis près d’un mois.


CHAPITRE LXXIII.


Laissons les deux amis entrer au cabaret de la Corne-d’Abondance, où Chicot, on se le rappelle, ne conduisait jamais le moine qu’avec des intentions dont celui-ci était loin de soupçonner la gravité, et revenons à M. de Monsoreau, qui suit en litière le chemin de Méridor à Paris, et à Bussy, qui est parti d’Angers avec l’intention de faire la même route.

Non seulement il n’est pas difficile à un cavalier bien monté de rejoindre des gens qui vont à pied, mais encore il court un risque, c’est celui de les dépasser.

La chose arriva à Bussy.

On était à la fin de mai, et la chaleur était grande, surtout vers le midi. Aussi M. de Monsoreau ordonna-t-il de faire halte dans un petit bois qui se trouvait sur la route ; et comme il désirait que son départ fût connu le plus tard possible de M. le duc d’Anjou, il veilla à ce que toutes les personnes de sa suite entrassent avec lui dans l’épaisseur du taillis pour passer la plus grande ardeur du soleil ; un cheval était chargé de provisions, on put donc faire la collation sans avoir recours à personne.

Pendant ce temps, Bussy passa.

Mais Bussy n’allait pas, comme on le pense bien, par la route, sans s’informer, si l’on n’avait pas vu des chevaux, des cavaliers et une litière portée par des paysans.

Jusqu’au village de Durtal, il avait obtenu les renseignements les plus positifs et les plus satisfaisants ; aussi, convaincu que Diane était devant lui, avait-il mis son cheval au pas, se haussant sur ses étriers au sommet de chaque monticule, afin d’apercevoir au loin la petite troupe à la poursuite de laquelle il s’était mis. Mais, contre son attente, tout à coup les renseignements lui manquèrent ; les voyageurs qui le croisaient n’avaient rencontré personne, et, en arrivant aux premières maisons de la Flèche, il acquit la conviction qu’au lieu d’être en retard il était en avance, et qu’il précédait au lieu de suivre.

Alors il se rappela le petit bois qu’il avait rencontré sur sa route, et il s’expliqua les hennissements de son cheval qui avait interrogé l’air de ses naseaux fumants au moment où il y était entré.

Son parti fut pris à l’instant même ; il s’arrêta au plus mauvais cabaret de la rue, et après s’être assuré que son cheval ne manquerait de rien, moins inquiet de lui-même que de sa monture, à la vigueur de laquelle il pouvait avoir besoin de recourir, il s’installa près d’une fenêtre, en ayant le soin de se cacher derrière un lambeau de toile qui servait de rideau.

Ce qui avait surtout déterminé Bussy dans le choix qu’il avait fait de cette espèce de bouge, c’est qu’il était situé en face la meilleure hôtellerie de la ville, et qu’il ne doutait point que Monsoreau ne fît halte dans cette hôtellerie.

Bussy avait deviné juste ; vers quatre heures de l’après-midi, il vit apparaître un coureur, qui s’arrêta à la porte de l’hôtellerie.

Une demi-heure après, vint le cortège.

Il se composait en personnages principaux du comte, de la comtesse, de Remy et de Gertrude ;

En personnages secondaires, de huit porteurs qui se relayaient de cinq lieues en cinq lieues.

Le coureur avait mission de préparer les relais des paysans. Or, comme Monsoreau était trop jaloux pour ne pas être généreux, cette manière de voyager, tout inusitée qu’elle était, ne souffrait ni difficulté ni retard.

Les personnages principaux entrèrent les uns après les autres dans l’hôtellerie ; Diane resta la dernière, et il sembla à Bussy qu’elle regardait avec inquiétude autour d’elle. Son premier mouvement fut de se montrer, mais il eut le courage de se retenir ; une imprudence les perdait.

La nuit vint, Bussy espérait que, pendant la nuit, Remy sortirait, ou que Diane paraîtrait à quelque fenêtre ; il s’enveloppa de son manteau et se mit en sentinelle dans la rue.

Il attendit ainsi jusqu’à neuf heures du soir ; à neuf heures du soir, le coureur sortit.

Cinq minutes après, huit hommes s’approchèrent de la porte : quatre entrèrent dans l’hôtellerie.

— Oh ! se dit Bussy, voyageraient-ils de nuit ? Ce serait une excellente idée qu’aurait M. de Monsoreau.

Effectivement, tout venait à l’appui de cette probabilité : la nuit était douce, le ciel tout parsemé d’étoiles, une de ces brises qui semblent le souffle de la terre rajeunie passait dans l’air, caressante et parfumée.

La litière sortit la première.

Puis vinrent à cheval Diane, Remy et Gertrude.

Diane regarda encore avec attention autour d’elle ; mais, comme elle regardait, le comte l’appela, et force lui fut de revenir près de la litière.

Les quatre hommes de relais allumèrent des torches et marchèrent aux deux côtés de la route.

— Bon, dit Bussy, j’aurais commandé moi-même les détails de cette marche, que je n’eusse pas mieux fait.

Et il rentra dans son cabaret, sella son cheval, et se mit à la poursuite du cortège.

Cette fois, il n’y avait point à se tromper de route ou à le perdre de vue : les torches indiquaient clairement le chemin qu’il suivait.

Monsoreau ne laissait point Diane s’éloigner un instant de lui.

Il causait avec elle, ou plutôt il la gourmandait. Cette visite dans la serre servait de texte à d’inépuisables commentaires et à une foule de questions envenimées.

Remy et Gertrude se boudaient, ou, pour mieux dire, Remy rêvait et Gertrude boudait Remy.

La cause de cette bouderie était facile à expliquer : Remy ne voyait plus la nécessité d’être amoureux de Gertrude, depuis que Diane était amoureuse de Bussy.

Le cortège s’avançait donc, les uns disputant, les autres boudant, quand Bussy qui suivait la cavalcade hors de la portée de la vue, donna pour prévenir Remy de sa présence, un