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Diane, émue, et d’autant plus émue qu’elle cherchait à cacher son émotion, Diane, émue des craintes de ce lendemain menaçant, paraissait plus tendre, parce que la tristesse, tombant au fond de tout amour, donne à cet amour le parfum de poésie qui lui manquait ; la véritable passion n’est point folâtre, et l’œil d’une femme sincèrement éprise est plus souvent humide que brillant.

Aussi débuta-t-elle par arrêter l’amoureux jeune homme. Ce qu’elle avait à lui dire, ce soir-là, c’est que sa vie était sa vie ; ce qu’elle avait à débattre avec lui, c’était les plus sûrs moyens de fuir. Car ce n’était pas le tout que de vaincre, il fallait, après avoir vaincu, fuir la colère du roi, car jamais Henri, c’était probable, ne pardonnerait au vainqueur la défaite ou la mort de ses favoris.

— Et puis, disait Diane le bras passé autour du cou de Bussy et dévorant des yeux le visage de son amant, n’es-tu pas le plus brave de France ? Pourquoi mettrais-tu un point d’honneur à augmenter ta gloire ? Tu es déjà si supérieur aux autres hommes, qu’il n’y aurait pas de générosité à toi de vouloir te grandir encore. Tu ne veux pas plaire aux autres femmes, car tu m’aimes, et tu craindrais de me perdre à jamais, n’est-ce pas, Louis ? Louis, défends ta vie. Je ne te dis pas : Songe à la mort, car il me semble qu’il n’existe pas au monde un homme assez fort, assez puissant pour tuer mon Louis autrement que par trahison ; mais songe aux blessures : on peut être blessé, tu le sais bien, puisque c’est à une blessure reçue en combattant contre ces mêmes hommes que je dois de te connaître.

— Sois tranquille, dit Bussy en riant, je garderai le visage ; je ne veux pas être défiguré.

— Oh ! garde ta personne tout entière. Qu’elle te soit sacrée, mon Bussy, comme si toi c’était moi. Songe à la douleur que tu éprouverais si tu me voyais revenir blessée et sanglante ; eh bien ! la même douleur que tu ressentirais, je l’éprouverais en voyant ton sang. Sois prudent, mon lion trop courageux, voilà tout ce que je te recommande. Fais comme ce Romain dont tu me lisais l’histoire pour me rassurer l’autre jour. Oh ! imite-le bien ; laisse tes trois amis faire leur combat, porte-toi au secours du plus menacé ; mais si deux hommes, si trois hommes t’attaquent à la fois, fuis ; tu te retourneras comme Horace, et tu les tueras les uns après les autres, et à distance.

— Oui, ma chère Diane, dit Bussy.

— Oh ! tu me réponds sans m’entendre, Louis ; tu me regardes et tu ne m’écoutes pas !

— Oui, mais je te vois, et tu es bien belle !

— Ce n’est point de ma beauté qu’il s’agit en ce moment, mon Dieu ! il s’agit de toi, de ta vie, de notre vie ; tiens, c’est bien affreux ce que je vais te dire, mais je veux que tu le saches, cela te rendra, non pas plus fort, mais plus prudent. Eh bien, j’aurai le courage de voir ce duel !

— Toi ?

— J’y assisterai.

— Comment cela ? impossible, Diane.

— Non ! écoute : il y a, tu sais, dans la chambre à côté de celle-ci, une fenêtre qui donne sur une petite cour, et qui regarde de biais l’enclos des Tournelles.

— Oui, je me le rappelle, cette fenêtre élevée de vingt pieds à peu près, et qui domine un treillis de fer, aux pointes duquel, l’autre jour, je faisais tomber du pain que les oiseaux venaient prendre.

— De là, comprends-tu ? Bussy, je te verrai. Surtout, place-toi de manière que je te voie ; tu sauras que je suis là, tu pourras me voir moi-même. Mais non, insensée que je suis, ne me regarde pas, car ton ennemi peut profiter de ta distraction.

— Et me tuer ! n’est-ce pas ? tandis que j’aurais les yeux fixés sur toi. Si j’étais condamné, et qu’on me laissât le choix de la mort, Diane, ce serait celle-là que je choisirais.

— Oui, mais tu n’es pas condamné, mais il ne s’agit pas de mourir ; il s’agit de vivre au contraire.

— Et je vivrai, sois tranquille ; d’ailleurs, je suis bien secondé, crois-moi ; tu ne connais pas mes amis ; mais je les connais : Antraguet tire l’épée comme moi ; Ribérac est froid sur le terrain, et semble n’avoir de vivant que les yeux avec lesquels il dévore son adversaire, et le bras avec lequel il le frappe ; Livarot brille par une agilité de tigre. La partie est belle, crois-moi, Diane, trop belle. Je voudrais courir plus de danger pour avoir plus de mérite.

— Eh bien, je te crois, cher ami, — et je souris, car j’espère ; mais écoute-moi, et promets-moi de m’obéir.

— Oui, pourvu que tu ne m’ordonnes pas de te quitter.

— Eh bien ! justement j’en appelle à ta raison.

— Alors il ne fallait pas me rendre fou.

— Pas de concetti, mon beau gentilhomme, de l’obéissance ; c’est en obéissant que l’on prouve son amour.

— Ordonne alors.

— Cher ami, tes yeux sont fatigués ; il te faut une bonne nuit ; quitte-moi.

— Oh ! déjà !

— Je vais faire ma prière, et tu m’embrasseras.

— Mais c’est toi qu’on devrait prier comme on prie les anges.

— Et crois-tu donc que les anges ne prient pas Dieu ? dit Diane en s’agenouillant.

Et, du fond du cœur, avec des regards qui semblaient, à travers le plafond, aller chercher Dieu sous les voûtes azurées du ciel.

— Seigneur, dit-elle, si tu veux que ta servante vive heureuse et ne meure pas désespérée, protège celui que tu as poussé sur mon chemin, pour que je l’aime et que je n’aime que lui.

Elle achevait ces paroles, Bussy se baissait pour l’envelopper de son bras et ramener son visage à la hauteur de ses lèvres, quand tout à coup une vitre de la fenêtre vola en éclats ; puis la fenêtre elle-même, et trois hommes armés parurent sur le balcon, tandis que le quatrième enfourchait la balustrade.

Celui-là avait le visage couvert d’un masque et tenait dans la main gauche un pistolet, de l’autre une épée nue.

Bussy demeura un instant immobile et glacé par le cri épouvantable que poussa Diane en s’élançant à son cou.

L’homme au masque fit un signe, et ses trois compagnons avancèrent d’un pas ; un de ces trois hommes était armé d’une arquebuse.

Bussy, d’un même mouvement, écarta Diane avec la main gauche, tandis que de la droite il tirait son épée.

Puis, se repliant sur lui-même, il l’abaissa lentement et sans perdre de vue ses adversaires.

— Allez, allez, mes braves, dit une voix sépulcrale qui sortit de dessous le masque de velours, il est à moitié mort, la peur l’a tué.

— Tu te trompes, dit Bussy, je n’ai jamais peur.

Diane fit un mouvement pour se rapprocher de lui.

— Rangez-vous, Diane ! dit-il avec fermeté.

Mais Diane, au lieu d’obéir, se jeta une seconde fois à son cou.

— Vous allez me faire tuer, madame, dit-il.

Diane s’éloigna, le démasquant entièrement. Elle comprenait qu’elle ne pouvait venir en aide à son amant que d’une seule manière : c’était en obéissant passivement.

— Ah ! ah ! dit la voix sombre, c’est bien M. de Bussy ; je ne le voulais pas croire, niais que je suis ! Vraiment, quel ami, quel bon et excellent ami !

Bussy se taisait, tout en mordant ses lèvres, et en examinant tout autour de lui quels seraient ses moyens de défense quand il faudrait en venir aux mains.

— Il apprend, continua la voix avec une intonation railleuse que rendait encore plus terrible sa vibration profonde et sombre, il apprend que le grand-veneur est absent, qu’il a laissé sa femme seule, que cette femme peut avoir peur, et il vient lui tenir compagnie, et quand cela ? la veille d’un duel. Je le répète, quel bon et excellent ami que le seigneur de Bussy !

— Ah ! c’est vous, monsieur de Monsoreau ! dit Bussy.