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Mais à coups de pommeau d’épée, mais à coups de taille, Bussy les assommait, les hachait sans relâche. Monsoreau s’approcha deux fois du jeune homme et fut touché deux fois encore.

Mais trois hommes s’attachèrent à la poignée de son épée et la lui arrachèrent des mains.

Bussy ramassa un trépied de bois sculpté qui servait de tabouret, frappa trois coups, abattit deux hommes ; mais le trépied se brisa sur l’épaule du dernier, qui resta debout.

Celui-là lui enfonça sa dague dans la poitrine.

Bussy le saisit au poignet, arracha la dague, et, la retournant contre son adversaire, il le força de se poignarder lui-même.

Le dernier sauta par la fenêtre.

Bussy fit deux pas pour le poursuivre, mais Monsoreau, étendu parmi les cadavres, se releva à son tour et lui ouvrit le jarret d’un coup de couteau.

Le jeune homme poussa un cri, chercha des yeux une épée, ramassa la première venue, et la plongea si vigoureusement dans la poitrine du grand-veneur qu’il le cloua au parquet.

— Ah ! s’écria Bussy, je ne sais pas si je mourrai ; mais, du moins, je t’aurai vu mourir !

Monsoreau voulut répondre ; mais ce fut son dernier soupir qui passa par sa bouche entr’ouverte.

Bussy alors se traîna vers le corridor, il perdait tout son sang par sa blessure de la cuisse et surtout par celle du jarret.

Il jeta un dernier regard derrière lui.

La lune venait de sortir brillante d’un nuage ; sa lumière entrait dans cette chambre inondée de sang, elle vint se mirer aux vitres et illuminer les murailles hachées par les coups d’épées, trouées par les balles, effleurant au passage les pâles visages des morts, qui, pour la plupart, avaient conservé en expirant le regard féroce et menaçant de l’assassin.

Bussy, à la vue de ce champ de bataille peuplé par lui, tout blessé, tout mourant qu’il était, se sentit pris d’un orgueil sublime.

Comme il l’avait dit, il avait fait ce qu’aucun homme n’aurait pu faire.

Il lui restait maintenant à fuir, à se sauver ; mais il pouvait fuir, car il fuyait devant les morts.

Mais tout n’était pas fini pour le malheureux jeune homme.

En arrivant sur l’escalier, il vit reluire des armes dans la cour ; un coup de feu partit ; la balle lui traversa l’épaule.

La cour était gardée.

Alors il songea à cette petite fenêtre par laquelle Diane lui promettait de regarder le combat du lendemain, et aussi rapidement qu’il put, il se traîna de ce côté.

Elle était ouverte, en encadrant un beau ciel parsemé d’étoiles. Bussy referma et verrouilla la porte derrière lui ; puis il monta sur la fenêtre à grand’peine, enjamba la rampe, et mesura des yeux la grille de fer, afin de sauter de l’autre côté.

— Oh ! je n’aurai jamais la force ! murmura-t-il.

Mais, en ce moment, il entendit des pas dans l’escalier ; c’était la seconde troupe qui montait.

Bussy était hors de défense ; il rappela toutes ses forces. S’aidant de la seule main et du seul pied dont il pût se servir encore, il s’élança.

Mais en s’élançant, la semelle de sa botte glissa sur la pierre.

Il avait tant de sang aux pieds !

Il tomba sur les pointes du fer : les unes pénétrèrent dans son corps, les autres s’accrochèrent à ses habits, et il demeura suspendu.

En ce moment il pensa au seul ami qui lui restât au monde.

— Saint-Luc ! cria-t-il, à moi ! Saint-Luc ! à moi !

— Ah ! c’est vous, monsieur de Bussy, dit tout à coup une voix sortant d’un massif d’arbres.

Bussy tressaillit. Cette voix n’était pas celle de Saint-Luc.

— Saint-Luc ! cria-t-il de nouveau, à moi ! à moi ! ne crains rien pour Diane. J’ai tué le Monsoreau !

Il espérait que Saint-Luc était caché aux environs, et viendrait à cette nouvelle.

— Ah ! le Monsoreau est tué ? dit une autre voix.

— Oui.

— Bien.

Et Bussy vit deux hommes sortir du massif ; ils étaient masqués tous deux.

— Messieurs, dit Bussy, messieurs, au nom du ciel, secourez un pauvre gentilhomme qui peut échapper encore, si vous le secourez.

— Qu’en pensez-vous, Monseigneur ! demanda à demi-voix un des deux inconnus.

— Imprudent ! dit l’autre.

— Monseigneur ! s’écria Bussy, qui avait entendu, tant l’acuité de ses sens s’était augmentée du désespoir de sa situation, Monseigneur ! délivrez-moi, et je vous pardonnerai de m’avoir trahi !

— Entends-tu ? dit l’homme masqué.

— Qu’ordonnez-vous ?

— Eh bien ! que tu le délivres.

Puis il ajouta avec un rire que cacha son masque :

— De ses souffrances…

Bussy tourna la tête du côté par où venait la voix qui osait parler avec un accent railleur dans un pareil moment.

— Oh ! je suis perdu, murmura-t-il.

En effet, au même moment, le canon d’une arquebuse se posa sur sa poitrine, et le coup partit.

La tête de Bussy retomba sur son épaule, ses mains se raidirent.

— Assassin ! dit-il, sois maudit !

Et il expira en prononçant le nom de Diane.

Les gouttes de son sang tombèrent du treillis sur celui qu’on avait appelé Monseigneur.

— Est-il mort ? crièrent plusieurs hommes qui, après avoir enfoncé la porte, apparaissaient à la fenêtre.

— Oui, cria Aurilly, mais fuyez ; songez que Monseigneur le duc d’Anjou était le protecteur et l’ami de M. de Bussy.

Les hommes n’en demandèrent pas davantage ; ils disparurent. Le duc entendit le bruit de leurs pas s’éloigner, décroître et se perdre.

— Maintenant, Aurilly, dit l’autre homme masqué, monte dans cette chambre, et jette-moi par la fenêtre le corps du Monsoreau.

Aurilly monta, reconnut, parmi ce nombre inouï de cadavres, le corps du grand-veneur, le chargea sur ses épaules, et, comme le lui avait ordonné son compagnon, il jeta par la fenêtre le corps, qui, en tombant, vint à son tour éclabousser de son sang les habits du duc d’Anjou.

François fouilla sous le justaucorps du grand veneur et en tira l’acte d’alliance signé de sa royale main.

— Voilà ce que je cherchais, dit-il ; nous n’avons plus rien à faire ici.

— Et Diane ! demanda Aurilly, de la fenêtre.

— Ma foi ! je ne suis plus amoureux, et comme elle ne nous a pas reconnus, détache-la, détache aussi Saint-Luc, et que tous deux s’en aillent où ils voudront.

Aurilly disparut.

— Je ne serai pas roi de France de ce coup-ci encore, dit le duc en déchirant l’acte en morceaux. Mais de ce coup-ci non plus, je ne serai pas encore décapité pour cause de haute trahison.


CHAPITRE XCII.

COMMENT FRÈRE GORENFLOT SE TROUVA PLUS QUE JAMAIS ENTRE LA POTENCE ET L’ABBAYE.


L’aventure de la conspiration fut jusqu’au bout une comédie ; les Suisses, placés à l’embouchure de ce fleuve d’intrigue, non plus que les gardes françaises embusqués à son confluent et qui avaient tendu là leurs filets pour y prendre