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nom du duc de Mayenne, le jour où vous avez si lestement sauté par une fenêtre.

— Non, monsieur ; j’en sais le compte, et je les rendrai à celui qui me les a fait donner, soyez tranquille. Ce que je viens chercher, c’est certaine généalogie que M. Pierre de Gondy, sans savoir ce qu’il portait, a portée à Avignon, et, sans savoir ce qu’il rapportait, vous a remise tout à l’heure.

David pâlit.

— Quelle généalogie ? dit-il.

— Celle de MM. de Guise, qui descendent, comme vous savez, de Charlemagne en droite ligne.

— Ah ! ah ! dit David, vous êtes donc espion, monsieur ; je vous croyais seulement bouffon, moi ?

— Cher monsieur David, je serai, si vous le voulez bien, l’un et l’autre dans cette occasion : espion pour vous faire pendre, et bouffon pour en rire.

— Me faire pendre !

— Haut et court, monsieur. Vous n’avez pas la prétention d’être décapité, j’espère ; c’est bon pour les gentilshommes.

— Et comment vous y prendrez-vous pour cela ?

— Oh ! ce sera bien simple ; je raconterai la vérité, voilà tout. Il faut vous dire, cher monsieur David, que j’ai assisté le mois passé à ce petit conciliabule tenu dans le couvent de Sainte-Geneviève, entre LL. AA. SS. MM. de Guise et madame de Montpensier.

— Vous ?

— Oui, j’étais logé dans le confessionnal en face du vôtre ; on y est fort mal, n’est-ce pas ? d’autant plus mal, pour mon compte du moins, que j’ai été obligé, pour en sortir, d’attendre que tout fût fini, et que la chose a été fort longue à se terminer. J’ai donc assisté aux discours de M. de Monsoreau, de la Hurière et d’un certain moine dont j’ai oublié le nom, mais qui m’a paru fort éloquent. Je connais l’affaire du couronnement de M. d’Anjou, qui a été moins amusante ; mais en échange la petite pièce a été drôle ; on jouait la généalogie de MM. de Lorraine, revue, augmentée et corrigée par maître Nicolas David. C’était une fort drôle de pièce, à laquelle il ne manquait plus que le visa de Sa Sainteté.

— Ah ! vous connaissez la généalogie ? dit David se contenant à peine et mordant ses lèvres avec colère.

— Oui, dit Chicot, et je l’ai trouvée infiniment ingénieuse, surtout à l’endroit de la loi salique. Seulement, c’est un grand malheur d’avoir tant d’esprit que cela : on se fait pendre ; aussi, me sentant ému d’un tendre intérêt pour un homme si ingénieux, comment ? me suis-je dit, je laisserais pendre ce brave monsieur David, un maître d’armes très agréable, un avocat de première force, un de mes bons amis, enfin, et cela quand je puis au contraire non seulement lui sauver la corde, mais encore faire sa fortune, à ce brave avocat, ce bon maître, cet excellent ami, le premier qui m’ait donné la mesure de mon cœur en prenant la mesure de mon dos ; non, cela ne sera pas. Alors, vous ayant entendu parler de voyage, j’ai pris la résolution, rien ne me retenant, de voyager avec vous, c’est-à-dire derrière vous. Vous êtes sorti par la porte Bordelle, n’est-ce pas ? je vous guettais, vous ne m’avez pas vu, cela ne m’étonne point, j’étais bien caché ; de ce moment-là, je vous ai suivi, vous perdant, vous rattrapant, prenant beaucoup de peine, je vous assure ; enfin, nous sommes arrivés à Lyon ; je dis nous sommes, parce que, une heure après vous, j’étais installé dans le même hôtel que vous, non seulement dans le même hôtel, mais encore dans la chambre à côté ; dans celle-ci, tenez, qui n’est séparée de la vôtre que par une simple cloison ; vous pensez bien que je n’étais pas venu de Paris à Lyon, ne vous quittant pas des yeux, pour vous perdre de vue ici. Non, j’ai percé un petit trou à l’aide duquel j’avais l’avantage de vous examiner tant que je voulais, et, je l’avoue, je me donnais ce plaisir plusieurs fois le jour. Enfin vous êtes tombé malade ; l’hôte voulait vous mettre à la porte ; vous aviez donné rendez-vous à M. de Gondy au Cygne-de-la-Croix ; vous aviez peur qu’il ne vous trouvât point autre part, ou du moins qu’il ne vous retrouvât point assez vite. C’était un moyen, je n’en ai été dupe qu’à moitié ; cependant, comme à tout prendre, vous pouviez être malade réellement, comme nous sommes tous mortels, vérité dont je tâcherai de vous convaincre tout à l’heure, je vous ai envoyé un brave moine, mon ami, mon compagnon, pour vous exciter au repentir, vous ramener à la résipiscence ; mais point, pécheur endurci que vous êtes, vous avez voulu lui perforer la gorge avec votre rapière, oubliant cette maxime de l’Évangile : « Qui frappe de l’épée périra par l’épée. » C’est alors, cher monsieur David, que je suis venu et que je vous ai dit : Voyons, nous sommes de vieilles connaissances, de vieux amis ; arrangeons la chose ensemble ; voyons, dites, à cette heure que vous êtes au courant, voulez-vous l’arranger, la chose ?

— Et de quelle façon ?

— De la façon dont elle se fût arrangée si vous eussiez été véritablement malade, que mon ami Gorenflot vous eût confessé et que vous lui eussiez remis les papiers qu’il vous demandait. Alors je vous eusse pardonné et j’eusse même dit de grand cœur un in manus pour vous. Eh bien ! je ne serai pas plus exigeant pour le vivant que pour le mort ; et ce qui me reste à vous dire, le voici : Monsieur David, vous êtes un homme accompli : l’escrime, le cheval, la chicane, l’art de mettre de grosses bourses dans de larges poches, vous possédez tout. Il serait fâcheux qu’un homme comme vous disparût tout à coup du monde, où il est destiné à faire une si belle fortune. Eh bien, cher monsieur David, ne faites plus de conspirations, fiez-vous à moi, rompez avec les Guises, donnez-moi vos papiers, et, foi de gentilhomme ! je ferai votre paix avec le roi.

— Tandis qu’au contraire, si je ne vous les donne pas ? demanda Nicolas David.

— Ah ! si vous ne me les donnez pas, c’est autre chose. Foi de gentilhomme, je vous tuerai ! Est-ce toujours drôle, cher monsieur David ?

— De plus en plus, répondit l’avocat en caressant son épée.

— Mais si vous me les donnez, continua Chicot, tout sera oublié ; vous ne me croyez pas peut-être, cher monsieur David, car vous êtes d’une nature mauvaise, et vous vous figurez que mon ressentiment est incrusté dans mon cœur comme la rouille dans le fer. Non, je vous hais, c’est vrai, mais je hais M. de Mayenne plus que vous ; donnez-moi de quoi perdre M. de Mayenne et je vous sauve ; et puis, voulez-vous que j’ajoute encore quelques paroles, que vous ne croirez pas, vous qui n’aimez rien que vous-même ? eh bien, c’est que j’aime le roi, moi, tout niais, tout corrompu, tout abâtardi qu’il est ; le roi qui m’a donné un refuge, une protection contre votre boucher de Mayenne, qui assassine de nuit, à la tête de quinze bandits, un seul gentilhomme, sur la place du Louvre ; vous savez de qui je veux parler, c’est de ce pauvre Saint-Mégrin ; n’en étiez-vous pas de ses bourreaux, vous ? Non, tant mieux, je le croyais tout à l’heure, et je le crois bien plus encore maintenant. Eh bien ! je veux qu’il règne tranquillement, mon pauvre roi Henri, ce qui est impossible avec les Mayenne et les généalogies de Nicolas David. Livrez-moi donc la généalogie, et, foi de gentilhomme, je tais votre nom et fais votre fortune.

Pendant cette longue exposition de ses idées, qu’il n’avait même faite si longue que dans ce but, Chicot avait observé David en homme intelligent et ferme. Pendant cet examen, il ne vit pas se détendre une seule fois la fibre d’acier qui dilatait l’œil fauve de l’avocat ; pas une bonne pensée n’éclaira ses traits assombris ; pas un retour de cœur n’amollit sa main crispée sur l’épée.

— Allons, dit Chicot, je vois que tout ce que je vous dis est de l’éloquence perdue, et que vous ne me croyez pas ; il me reste donc un moyen de vous punir d’abord de vos torts anciens envers moi, puis de débarrasser la terre d’un homme qui ne croit plus à la probité ni à l’humanité. Je vais vous faire pendre. Adieu, monsieur David.

Et Chicot fit à reculons un pas vers la porte sans perdre de vue l’avocat.

Celui-ci fit un bond en avant.

— Et vous croyez que je vous laisserai sortir ? s’écria l’avocat ; non pas, mon bel espion ; non pas, Chicot, mon ami : quand on sait des secrets comme ceux de la généalogie, on