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— Bah ! répondit l’hôte avec des yeux effarés, qu’y a-t il donc ?

— Cet enragé royaliste, ce contempteur de la religion, cet abominable hanteur de huguenots…

— Eh bien ?

— Eh bien ! il a reçu la visite ce matin d’un messager de Rome.

— Je le sais bien, puisque c’est moi qui vous l’ai dit.

— Eh bien ! notre saint-père le pape, à qui toute justice temporelle est dévolue en ce monde, notre saint-père le pape l’envoyait directement au conspirateur : seulement, selon toute probabilité, le conspirateur ne se doutait pas dans quel but.

— Et dans quel but l’envoyait-il ?

— Montez dans la chambre de votre hôte, maître Bernouillet, levez un peu sa couverture, regardez-lui aux environs du cou, et vous le saurez.

— Holà ! vous m’effrayez.

— Je ne vous en dis pas davantage. Cette justice s’est accomplie chez vous, maître Bernouillet. C’est un bien grand honneur que vous fait le pape.

Puis Chicot glissa dix écus d’or dans la main de son hôte et gagna l’écurie, d’où il fit sortir les deux chevaux.

Cependant l’hôte avait grimpé ses escaliers plus leste que l’oiseau, et était entré dans la chambre de Nicolas David.

Il y trouva Gorenflot en prières.

Alors il s’approcha du lit, et, selon les instructions qu’il avait reçues, releva les couvertures.

La blessure était bien à la place indiquée, encore vermeille ; mais le corps était déjà froid.

— Ainsi meurent tous les ennemis de la sainte religion ! dit-il en faisant un signe d’intelligence à Gorenflot.

— Amen ! répondit le moine.

Ces événements se passaient à peu près vers le même temps où Bussy remettait Diane de Méridor entre les bras du vieux baron, qui la croyait morte.


CHAPITRE XXXIII.

COMMENT LE DUC D’ANJOU APPRIT QUE DIANE DE MÉRIDOR N’ÉTAIT POINT MORTE.


Pendant ce temps, les derniers jours d’avril étaient arrivés.

La grande cathédrale de Chartres était tendue de blanc, et sur les piliers, des gerbes de feuillage (car on a vu par l’époque où nous sommes arrivés que le feuillage était encore une rareté), et sur les piliers, disons-nous, des gerbes de feuillage remplaçaient les fleurs absentes.

Le roi, pieds nus, comme il était venu depuis la porte de Chartres, se tenait debout au milieu de la nef, regardant de temps en temps si tous ses courtisans et tous ses amis s’étaient trouvés fidèlement au rendez-vous. Mais les uns, écorchés par le pavé de la rue, avaient repris leurs souliers ; les autres, affamés ou fatigués, se reposaient ou mangeaient dans quelque hôtellerie de la route où ils s’étaient glissés en contrebande, et un petit nombre seulement avait eu le courage de demeurer dans l’église sur la dalle humide, avec les jambes nues sous leurs longues robes de pénitents.

La cérémonie religieuse qui avait pour but de donner un héritier à la couronne de France s’accomplissait ; les deux chemises de Notre-Dame, dont, vu la grande quantité de miracles qu’elles avaient faits, la vertu prolifique ne pouvait être mise en doute, avaient été tirées de leurs châsses d’or, et le peuple, accouru en foule à cette solennité, s’inclinait sous le feu des rayons qui jaillirent du tabernacle quand les deux tuniques en sortirent.

Henri III, en ce moment, au milieu du silence général, entendit un bruit étrange, un bruit qui ressemblait à un éclat de rire étouffé, et il chercha par habitude si Chicot n’était pas là, car il lui sembla qu’il n’y avait que Chicot qui dût avoir l’audace de rire en un pareil moment.

Ce n’était pas Chicot cependant qui avait ri à l’aspect des deux saintes tuniques ; car Chicot, hélas ! était absent, ce qui attristait fort le roi, qui, on se le rappelle, l’avait perdu de vue tout à coup sur la route de Fontainebleau et n’en avait pas entendu reparler depuis. C’était un cavalier que son cheval encore fumant venait d’amener à la porte de l’église, et qui s’était fait un chemin, avec ses habits et ses bottes tout souillés de boue, au milieu des courtisans affublés de leurs robes de pénitents ou coiffés de sacs, mais, dans l’un et l’autre cas, pieds nus.

Voyant le roi se retourner, il resta bravement debout dans le chœur avec l’apparence du respect ; car ce cavalier était homme de cour ; cela se voyait dans son attitude encore plus que dans l’élégance des habits dont il était couvert.

Henri, mécontent de voir ce cavalier arrivé si tard faire tant de bruit, et différer si insolemment par ses habits de ce costume monacal qui était d’ordonnance ce jour-là, lui adressa un coup d’œil plein de reproche et de dépit.

Le nouveau venu ne fit pas semblant de s’en apercevoir, et franchissant quelques dalles où étaient sculptées des effigies d’évêques en faisant crier ses souliers pont-levis (c’était la mode alors), il alla s’agenouiller près de la chaise de velours de M. le duc d’Anjou, lequel, absorbé dans ses pensées bien plutôt que dans ses prières, ne prêtait pas la moindre attention à ce qui se passait autour de lui.

Cependant, lorsqu’il sentit le contact de ce nouveau personnage, il se retourna vivement, et à demi-voix s’écria : Bussy !

— Bonjour, monseigneur, répondit le gentilhomme, comme s’il eût quitté le duc depuis la veille seulement et qu’il ne se fût rien passé d’important depuis qu’il l’avait quitté.

— Mais, lui dit le prince, tu es donc enragé ?

— Pourquoi cela, monseigneur ?

— Pour quitter n’importe quel lieu où tu étais, et pour venir voir à Chartres les chemises de Notre-Dame.

— Monseigneur, dit Bussy, c’est que j’ai à vous parler tout de suite.

— Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ?

— Probablement parce que la chose était impossible.

— Mais que s’est-il passé depuis tantôt trois semaines que tu as disparu ?

— C’est justement de cela que j’ai à vous parler.

— Bah ! tu attendras bien que nous soyons sortis de l’église ?

— Hélas ! il le faut bien, et c’est justement ce qui me fâche.

— Chut ! voici la fin ; prends patience, et nous retournerons ensemble à mon logis.

— J’y compte bien, monseigneur.

En effet, le roi venait de passer sur sa chemise de fine toile la chemise assez grossière de Notre-Dame, et la reine, avec l’aide de ses femmes, était occupée à en faire autant.

Alors le roi se mit à genoux, la reine l’imita ; chacun d’eux demeura un moment sous un vaste poêle : priant de tout son cœur, tandis que les assistants, pour faire leur cour au roi, frappaient du front la terre.

Après quoi, le roi se releva, ôta sa tunique sainte, salua l’archevêque, salua la reine et se dirigea vers la porte de la cathédrale.

Mais, sur la route, il s’arrêta : il venait d’apercevoir Bussy.

— Ah ! monsieur, dit-il, il paraît que nos dévotions ne sont point de votre goût, car vous ne pouvez vous décider à quitter l’or et la soie, tandis que votre roi prend la bure et la serge ?

— Sire, répondit Bussy avec dignité, mais en pâlissant d’impatience sous l’apostrophe, nul ne prend à cœur comme moi le service de Votre Majesté, même parmi ceux dont le froc est le plus humble et dont les pieds sont le plus déchirés ; mais j’arrive d’un voyage long et fatigant, et je n’ai su que ce matin le départ de Votre Majesté pour Chartres, j’ai donc fait vingt-deux lieues en cinq heures, sire, pour venir joindre Votre Majesté : voilà pourquoi je n’ai pas eu le temps de changer d’habit, ce dont Votre Majesté ne se serait point aperçue au reste si, au lieu de venir pour joindre humblement mes prières aux siennes, j’étais resté à Paris.

Le roi parut assez satisfait de cette raison ; mais, comme il avait regardé ses amis, dont quelques-uns avaient haussé les épaules aux paroles de Bussy, il craignit de les désobliger en faisant bonne mine au gentilhomme de son frère, et il passa outre.