Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/98

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Bussy laissa passer le roi sans sourciller.

— Eh quoi ! dit le duc, tu ne vois donc pas ?

— Quoi ?

— Que Schomberg, que Quélus et que Maugiron ont haussé les épaules à ton excuse.

— Si fait, monseigneur, je l’ai parfaitement vu, dit Bussy très calme.

— Eh bien ?

— Eh bien ! croyez-vous que je vais égorger mes semblables ou à peu près dans une église ? Je suis trop bon chrétien pour cela.

— Ah ! fort bien, dit le duc d’Anjou étonné, je croyais que tu n’avais pas vu, ou que tu n’avais pas voulu voir.

Bussy haussa les épaules à son tour, et, à la sortie de l’église, prenant le prince à part.

— Chez vous, n’est-ce pas, monseigneur ? dit-il.

— Tout de suite, car tu dois avoir bien des choses à m’apprendre.

— Oui, en effet, monseigneur, et des choses dont vous ne vous doutez pas, j’en suis sûr.

Le duc regarda Bussy avec étonnement.

— C’est comme cela, dit Bussy.

— Eh bien ! laisse-moi seulement saluer le roi, et je suis à toi.

Le duc alla prendre congé de son frère, qui, par une grâce toute particulière de Notre-Dame, disposé sans doute à l’indulgence, donna au duc d’Anjou la permission de retourner à Paris quand bon lui semblerait.

Alors, revenant en toute hâte vers Bussy, et s’enfermant avec lui dans une des chambres de l’hôtel qui lui était assigné pour logement :

— Voyons, compagnon, dit-il, assieds-toi là et raconte-moi ton aventure ; sais-tu que je t’ai cru mort ?

— Je le crois bien, monseigneur.

— Sais-tu que toute la cour a pris les habits blancs en réjouissance de ta disparition, et que beaucoup de poitrines ont respiré librement pour la première fois depuis que tu sais tenir une épée ; mais il ne s’agit pas de cela ; voyons, tu m’as quitté pour te mettre à la poursuite d’une belle inconnue ! Quelle était cette femme et que dois-je attendre ?

— Vous devez récolter ce que vous avez semé, monseigneur, c’est-à-dire beaucoup de honte !

— Plaît-il ? fit le duc, plus étonné encore de ces étranges paroles que du ton irrévérencieux de Bussy.

— Monseigneur a entendu, dit froidement Bussy ; il est donc inutile que je répète.

— Expliquez-vous, monsieur, et laissez à Chicot les énigmes et les anagrammes.

— Oh ! rien de plus facile, monseigneur, et je me contenterai d’en appeler à votre souvenir.

— Mais qui est cette femme ?

— Je croyais que monseigneur l’avait reconnue.

— C’était donc elle ? s’écria le duc.

— Oui, monseigneur.

— Tu l’as vue ?

— Oui.

— T’a-t-elle parlé ?

— Sans doute ; il n’y a que les spectres qui ne parlent pas. Après cela, peut-être monseigneur avait-il le droit de la croire morte, et l’espérance qu’elle l’était ?

Le duc pâlit, et demeura comme écrasé par la rudesse des paroles de celui qui eût dû être son courtisan.

— Eh bien ! oui, monseigneur, continua Bussy, quoique vous ayez poussé au martyre une jeune fille de race noble, cette jeune fille a échappé au martyre ; mais ne respirez pas encore, et ne vous croyez pas encore absous, car, en conservant la vie, elle a trouvé un malheur plus grand que la mort.

— Qu’est-ce donc, et que lui est-il arrivé ? demanda le duc tout tremblant.

— Monseigneur, il lui est arrivé qu’un homme lui a conservé l’honneur, qu’un homme lui a sauvé la vie ; mais cet homme s’est fait payer son service si cher, que c’est à regretter qu’il l’ait rendu.

— Achève, voyons.

— Eh bien, monseigneur, la demoiselle de Méridor, pour échapper aux bras déjà étendus de M. le duc d’Anjou, dont elle ne voulait pas être la maîtresse, la demoiselle de Méridor s’est jetée aux bras d’un homme qu’elle exècre.

— Que dis-tu ?

— Je dis que Diane de Méridor s’appelle aujourd’hui madame de Monsoreau.

À ces mots, au lieu de la pâleur qui couvrait ordinairement les joues de François, le sang reflua si violemment à son visage, qu’on eût cru qu’il allait lui jaillir par les yeux.

— Sang du Christ ! s’écria le prince furieux ; cela est-il bien vrai ?

— Pardieu ! puisque je le dis, répliqua Bussy avec son air hautain.

— Ce n’est point ce que je voulais dire, répéta le prince, et je ne suspectais point votre loyauté, Bussy, je me demandais seulement s’il était possible qu’un de mes gentilshommes, un Monsoreau, eût eu l’audace de protéger contre mon amour une femme que j’honorais de mon amour.

— Et pourquoi pas ? dit Bussy.

— Tu eusses donc fait ce qu’il a fait, toi ?

— J’eusse fait mieux, monseigneur, je vous eusse averti que votre honneur se fourvoyait.

— Un moment, Bussy, dit le duc redevenu calme, écoutez, s’il vous plaît ; vous comprenez, mon cher, que je ne me justifie pas.

— Et vous avez tort, mon prince, car vous n’êtes qu’un gentilhomme toutes les fois qu’il s’agit de prud’homie.

— Eh bien ! c’est pour cela que je vous prie d’être le juge de M. de Monsoreau.

— Moi ?

— Oui, vous, et de me dire s’il n’est point un traître, traître envers moi ?

— Envers vous ?

— Envers moi, dont il connaissait les intentions.

— Et les intentions de Votre Altesse étaient ?…

— De me faire aimer de Diane sans doute !

— De vous faire aimer ?

— Oui, mais dans aucun cas de n’employer la violence.

— C’étaient là vos intentions ? monseigneur, dit Bussy avec un sourire ironique.

— Sans doute, et ces intentions, je les ai conservées jusqu’au dernier moment, quoique M. de Monsoreau les ait combattues avec toute la logique dont il était capable.

— Monseigneur ! monseigneur ! que dites-vous là ? Cet homme vous a poussé à déshonorer Diane ?

— Oui.

— Par ses conseils ?

— Par ses lettres. En veux-tu voir une de ses lettres ?

— Oh ! s’écria Bussy, si je pouvais croire cela !

— Attends une seconde, tu verras.

Et le duc courut à une petite caisse que gardait toujours un page dans son cabinet, et en tira un billet qu’il donna à Bussy :

— Lis, dit-il, puisque tu doutes de la parole de ton prince.

Bussy prit le billet d’une main tremblante de doute, et lut :

« Monseigneur,

Que Votre Altesse se rassure : ce coup de main se fera sans risques, car la jeune personne part ce soir pour aller passer huit jours chez une tante qui demeure au château de Lude ; je m’en charge donc et vous n’avez pas besoin de vous en inquiéter. Quant aux scrupules de la demoiselle, croyez bien qu’ils s’évanouiront dès qu’elle se trouvera en présence de Votre Altesse ; en attendant, j’agis… et ce soir… elle sera au château de Beaugé.

De Votre Altesse, le très respectueux serviteur,
Bryant de Monsoreau. »

— Eh bien, qu’en dis-tu, Bussy ? demanda le prince après que le gentilhomme eut relu la lettre une seconde fois.

— Je dis que vous êtes bien servi, monseigneur.