Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/106

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tent, ils s’accouplent, ils bâtissent un nid, et Dieu les nourrit. Nous autres artistes, nous ressemblons fort aux oiseaux ; nous chantons et Dieu vient à notre aide. Quand le chant ne suffira pas, tu te feras musicien. Je n’étais pas plus riche que toi quand j’ai épousé ma pauvre Térésa ; eh bien ! ni le pain, ni l’abri ne nous ont jamais fait faute. J’ai toujours eu besoin d’argent, et je n’en ai jamais manqué. Es-tu riche d’amour ? voilà tout ce que je te demande ; mérites-tu le trésor que tu convoites ? voilà tout ce que je désire savoir. Aimes-tu Antonia plus que ta vie, plus que ton âme ? alors je suis tranquille, Antonia ne manquera jamais de rien. Ne l’aimes-tu point ? c’est autre chose ; eusses-tu cent mille livres de rentes, elle manquera toujours de tout.

Hoffmann était près de s’agenouiller devant cette adorable philosophie de l’artiste. Il s’inclina sur la main du vieillard, qui l’attira à lui et le pressa contre son cœur.

— Allons, allons, lui dit-il, c’est convenu ; fais ton voyage, puisque la rage d’entendre cette horrible musique de monsieur Méhul et de monsieur Dalayrac te tourmente ; c’est une maladie de la jeunesse qui sera vite guérie. Je suis tranquille ; fais ce voyage, mon ami, et reviens ici, tu y retrouveras Mozart, Beethoven, Cimarosa, Pergolèse, Paësiello, le Porpora, et, de plus, maître Gottlieb et sa fille, c’est-à-dire un père et une femme. Va, mon enfant, va.

Et maître Gottlieb embrassa de nouveau Hoffmann, qui, voyant venir la nuit, jugea qu’il n’avait pas de temps à perdre, et se retira chez lui pour faire ses préparatifs de départ.