Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/27

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monde infaillible et prochaine dans la destruction des forêts et dans l’épuisement des mines de houille. C’est dans ces fureurs contre le progrès de la civilisation que Nodier était resplendissant de verve et foudroyant d’entrain.

Vers neuf heures et demie du soir, Nodier sortait ; cette fois, ce n’était plus la ligne des quais qu’il suivait, c’était celle des boulevards ; il entrait à la Porte-Saint-Martin, à l’Ambigu ou aux Funambules, aux Funambules de préférence. C’est Nodier qui a divinisé Debureau ; pour Nodier, il n’y avait que trois acteurs au monde : Debureau, Potier et Talma ; Potier et Talma étaient morts, mais Debureau restait et consolait Nodier de la perte des deux autres.

Nodier avait vu cent fois le Bœuf enragé.

Tous les dimanches, Nodier déjeunait chez Pixérécourt. Là, il retrouvait ses visiteurs : le bibliophile Jacob, roi tant que Nodier n’était pas là, vice-roi quand Nodier paraissait ; le marquis de Ganay, le marquis de Chalabre.

Le marquis de Ganay, esprit changeant, amateur capricieux, amoureux d’un livre comme un roué du temps de la régence était amoureux d’une femme, pour l’avoir ; puis, quand il l’avait, fidèle un mois, non pas fidèle, enthousiaste, le portant sur lui, et arrêtant ses amis pour le leur montrer ; le mettant sous son oreiller le soir, et se réveillant la nuit, rallumant sa bougie pour le regarder, mais ne le lisant jamais ; toujours jaloux des livres de Pixérécourt, que Pixérécourt refusait de lui vendre à quelque prix que ce fût ; se vengeant de son refus en achetant, à la vente de madame de Castellane, un autographe que Pixérécourt ambitionnait depuis dix ans.

— N’importe ! disait Pixérécourt furieux, je l’aurai.