Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/33

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Peut-être oublierai-je un jour le sourire de Picard, mais je n’oublierai jamais celui de Nodier.

Je voulus prouver à Nodier que je n’étais pas tout à fait aussi indigne de sa protection qu’il eût pu le croire d’après la réponse que Picard m’avait faite. Je lui laissai mon manuscrit. Le lendemain, je reçus une lettre charmante, qui me rendait tout mon courage, et qui m’invitait aux soirées de l’Arsenal.

Ces soirées de l’Arsenal, c’était quelque chose de charmant, quelque chose qu’aucune plume ne rendra jamais. Elles avaient lieu le dimanche, et commençaient en réalité à six heures.

À six heures, la table était mise. Il y avait des dîneurs de la fondation : Cailleux, Taylor, Francis Wey, que Nodier aimait comme un fils ; puis, par hasard, un ou deux invités ; puis qui voulait.

Une fois admis à cette charmante intimité de la maison, on allait dîner chez Nodier à son plaisir. Il y avait toujours deux ou trois couverts attendant les convives de hasard. Si ces trois couverts étaient insuffisans, on en ajoutait un quatrième, un cinquième, un sixième. S’il fallait allonger la table, on l’allongeait. Mais malheur à celui qui arrivait le treizième ! Celui-là dînait impitoyablement à une petite table, à moins qu’un quatorzième ne vînt le relever de sa pénitence.

Nodier avait ses manies : il préférait le pain bis au pain blanc, l’étain à l’argenterie, la chandelle à la bougie.

Personne n’y faisait attention que madame Nodier, qui le servait à sa guise.

Au bout d’une année ou deux, j’étais un de ces intimes