Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/90

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Divinités du Styx, ministres de la mort,
Je n’invoquerai pas votre pitié cruelle.
J’enlève un tendre époux à son funeste sort,
Mais je vous abandonne une épouse fidèle.


quand elle atteignit le re, qu’elle donna à pleine poitrine, elle pâlit, chancela, s’évanouit : un vaisseau s’était brisé, dans cette poitrine si généreuse : le sacrifice aux dieux infernaux s’était accompli en réalité : la mère d’Antonia était morte.

Le pauvre maître Gottlieb dirigeait l’orchestre ; de son fauteuil, il vit chanceler, pâlir, tomber celle qu’il aimait par-dessus toute chose ; bien plus, il entendit se briser dans sa poitrine cette fibre à laquelle tenait sa vie, et il jeta un cri terrible qui se mêla au dernier soupir de la virtuose.

De là venait peut-être cette haine de maître Gottlieb pour les maîtres allemands ; c’était le chevalier Gluck qui, bien innocemment, avait tué sa Térésa, mais il n’en voulait pas moins au chevalier Gluck mal de mort, pour cette douleur profonde qu’il avait ressentie, et qui ne s’était calmée qu’au fur et à mesure qu’il avait reporté sur Antonia grandissante tout l’amour qu’il avait pour sa mère.

Maintenant, à dix-sept ans qu’elle avait, la jeune fille en était arrivée à tenir lieu de tout au vieillard ; il vivait par Antonia, il respirait par Antonia. Jamais l’idée de la mort d’Antonia ne s’était présentée à son esprit ; mais, si elle se fût présentée, il ne s’en serait pas fort inquiété, attendu que l’idée ne lui fût pas même venue qu’il pouvait survivre à Antonia.