Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/95

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gneur, et, si ma prière arrive à toi, que ta rigueur se désarme et que tes regards se retournent vers moi moins sévères et plus clémens ! »

Et cependant, tout en suivant, tout en emboîtant la voix, l’accompagnement lui laissait toute sa liberté, toute son étendue ; c’était une caresse et non pas une étreinte, un soutien et non une gêne ; et quand, au premier sforzando, quand, sur le re et les deux fa, la voix se souleva comme pour essayer de monter au ciel, l’accompagnement parut craindre alors de lui peser comme une chose terrestre, et l’abandonna presque aux ailes de la foi, pour ne la soutenir qu’au mi bécarre, c’est-à-dire au diminuendo, c’est-à-dire quand, lassée de l’effort, la voix retomba comme affaissée sur elle-même, et, pareille à la madone de Canova, à genoux, assise sur ses genoux, et chez laquelle tout plie, âme et corps, affaissés sous ce doute terrible que la miséricorde du Créateur soit assez grande pour oublier la faute de la créature.

Puis, quand d’une voix tremblante elle continua : Qu’il n’arrive jamais que je sois damnée et précipitée dans le feu éternel de ta vigueur, ô grand Dieu ! alors l’accompagnement se hasarda à mêler sa voix à la voix frémissante qui, entrevoyant les flammes éternelles, priait le Seigneur de l’en éloigner. Alors l’accompagnement pria de son côté, supplia, gémit, monta avec elle jusqu’au fa, descendit avec elle jusqu’à l’ut, l’accompagnant dans sa faiblesse, la soutenant dans sa terreur ; puis, tandis que haletante et sans force la voix mourait dans les profondeurs de la poitrine d’Antonia, l’accompagnement continua seul après la voix éteinte, comme, après l’âme envolée et déjà sur la route du