Page:Dumas - La Reine Margot (1886), tome 2.djvu/14

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D’Alençon écouta ces paroles avec une joie qui dilata tous les muscles de son visage.

— Croyez-vous, dit-il, que ce moyen soit praticable, et qu’il nous épargne tous ces désastres que vous prévoyez ?

— Je le crois, dit Henri. Les huguenots vous aiment : votre extérieur modeste, votre situation élevée et intéressante à la fois, la bienveillance enfin que vous avez toujours témoignée à ceux de la religion, les portent à vous servir.

— Mais, dit d’Alençon, il y a schisme dans le parti. Ceux qui sont pour vous seront-ils pour moi ?

— Je me charge de vous les concilier par deux raisons.

— Lesquelles ?

— D’abord, par la confiance que les chefs ont en moi ; ensuite, par la crainte où ils seraient que Votre Altesse, connaissant leurs noms…

— Mais ces noms, qui me les révélera ?

— Moi, ventre-saint-gris !

— Vous feriez cela ?

— Écoutez, François, je vous l’ai dit, continua Henri, je n’aime que vous à la cour : cela vient sans doute de ce que vous êtes persécuté comme moi ; et puis, ma femme aussi vous aime d’une affection qui n’a pas d’égale…

François rougit de plaisir.

— Croyez-moi, mon frère, continua Henri, prenez cette affaire en main, régnez en Navarre ; et pourvu que vous me conserviez une place à votre table et une belle forêt pour chasser, je m’estimerai heureux.

— Régner en Navarre ! dit le duc ; mais si…

— Si le duc d’Anjou est nommé roi de Pologne, n’est-ce pas ? J’achève votre pensée.

François regarda Henri avec une certaine terreur.

— Eh bien, écoutez, François ! continua Henri ; puisque rien ne vous échappe, c’est justement dans cette hypothèse que je raisonne : si le duc d’Anjou est nommé roi de Pologne, et que notre frère Charles, que Dieu conserve ! vienne à mourir, il n’y a que deux cents lieues de Pau à Paris ; tandis qu’il y en a quatre cents de Paris à Cracovie ; vous serez donc ici pour recueillir l’héritage juste au moment où le roi de Pologne apprendra qu’il est vacant. Alors, si vous êtes content de moi, François, vous me donnerez ce royaume de Navarre, qui ne sera plus qu’un des fleurons de votre cou-