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LA REINE MARGOT.

— Mais à peu près, dit Henri ; vous savez qu’en ce monde, Madame, on n’est jamais sûr de rien.

— Il est vrai, reprit Marguerite, que Votre Majesté annonce tant de modération et professe tant de désintéressement, qu’après avoir renoncé à sa couronne, après avoir renoncé à sa religion, elle renoncera probablement, on en a l’espoir du moins, à son alliance avec une fille de France.

Ces mots portaient avec eux une si profonde signification que Henri en frissonna malgré lui. Mais domptant cette émotion avec la rapidité de l’éclair :

— Daignez vous souvenir, Madame, qu’en ce moment je n’ai point mon libre arbitre. Je ferai donc ce que m’ordonnera le roi de France. Quant à moi, si l’on me consultait le moins du monde dans cette question où il ne va de rien moins que de mon trône, de mon honneur et de ma vie, plutôt que d’asseoir mon avenir sur les droits que me donne notre mariage forcé, j’aimerais mieux m’ensevelir chasseur dans quelque château, pénitent dans quelque cloître.

Ce calme résigné à sa situation, cette renonciation aux choses de ce monde, effrayèrent Marguerite. Elle pensa que peut-être cette rupture de mariage était convenue entre Charles IX, Catherine et le roi de Navarre. Pourquoi, elle aussi, ne la prendrait-on pas pour dupe ou pour victime ? Parce qu’elle était sœur de l’un et fille de l’autre ? L’expérience lui avait appris que ce n’était point là une raison sur laquelle elle pût fonder sa sécurité. L’ambition donc mordit au cœur la jeune femme ou plutôt la jeune reine, trop au-dessus des faiblesses vulgaires pour se laisser entraîner à un dépit d’amour-propre : chez toute femme, même médiocre, lorsqu’elle aime, l’amour n’a point de ces misères, car l’amour véritable est aussi une ambition.

— Votre Majesté, dit Marguerite avec une sorte de dédain railleur, n’a pas grande confiance, ce me semble, dans l’étoile qui rayonne au-dessus du front de chaque roi ?

— Ah ! dit Henri, c’est que j’ai beau chercher la mienne en ce moment, je ne puis la voir, cachée qu’elle est dans l’orage qui gronde sur moi à cette heure.

— Et si le souffle d’une femme écartait cet orage, et faisait cette étoile aussi brillante que jamais ?

— C’est bien difficile, dit Henri.

— Niez-vous l’existence de cette femme, Monsieur ?