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LA REINE MARGOT.

connu, se leva une seconde fois, versa une seconde portion de la liqueur dans une tasse, et porta cette tasse à Coconnas. Mais cette fois le Piémontais, au lieu de l’attendre le poignard à la main, le reçut les bras ouverts, et avala son breuvage avec délices, puis pour la première fois s’endormit avec tranquillité.

La troisième tasse eut un effet non moins merveilleux. La poitrine du malade commença de laisser passer un souffle régulier, quoique haletant encore. Ses membres raidis se détendirent, une douce moiteur s’épandit à la surface de la peau brûlante ; et lorsque le lendemain maître Ambroise Paré vint visiter le blessé, il sourit avec satisfaction en disant :

— À partir de ce moment je réponds de M. de Coconnas, et ce ne sera pas une des moins belles cures que j’aurai faites.

Il résulta de cette scène moitié dramatique, moitié burlesque, mais qui ne manquait pas au fond d’une certaine poésie attendrissante, eu égard aux mœurs farouches de Coconnas, que l’amitié des deux gentilshommes, commencée à l’auberge de la Belle-Étoile, et violemment interrompue par les événements de la nuit de la Saint-Barthélemy, reprit dès lors avec une nouvelle vigueur, et dépassa bientôt celle d’Oreste et de Pylade de cinq coups d’épée et d’un coup de pistolet répartis sur leurs deux corps.

Quoi qu’il en soit, blessures vieilles et nouvelles, profondes et légères, se trouvèrent enfin en voie de guérison. La Mole, fidèle à sa mission de garde-malade, ne voulut point quitter la chambre que Coconnas ne fût entièrement guéri. Il le souleva dans son lit tant que sa faiblesse l’y enchaîna, l’aida à marcher quand il commença de se soutenir, enfin eut pour lui tous les soins qui ressortaient de sa nature douce et aimante, et qui, secondés par la vigueur du Piémontais, amenèrent une convalescence plus rapide qu’on n’avait le droit de l’espérer.

Cependant une seule et même pensée tourmentait les deux jeunes gens : chacun dans le délire de sa fièvre avait bien cru voir s’approcher de lui la femme qui remplissait tout son cœur ; mais depuis que chacun avait repris connaissance, ni Marguerite ni madame de Nevers n’étaient certainement entrées dans la chambre. Au reste, cela se comprenait : l’une, femme du roi de Navarre, l’autre, belle-sœur du duc de Guise,