Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/132

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À quoi pensait ce juste qui allait mourir ?

Ce n’était ni à ses ennemis, ni à ses juges, ni à ses bourreaux.

C’était aux belles tulipes qu’il verrait du haut du ciel, soit à Ceylan, soit au Bengale, soit ailleurs, alors qu’assis avec tous les innocents à la droite de Dieu, il pourrait regarder en pitié cette terre où on avait égorgé MM. Jean et Corneille de Witt pour avoir trop pensé à la politique, et où on allait égorger M. Cornélius van Baerle pour avoir trop pensé aux tulipes.

L’affaire d’un coup d’épée, disait le philosophe, et mon beau rêve commencera.

Seulement restait à savoir si comme à M. de Chalais, comme à M. de Thou, et autres gens mal tués, le bourreau ne réservait pas plus d’un coup, c’est-à-dire plus d’un martyre, au pauvre tulipier.

Van Baerle n’en monta pas moins résolument les degrés de son échafaud.

Il y monta orgueilleux, quoiqu’il en eût, d’être l’ami de cet illustre Jean et le filleul de ce noble Corneille que les marauds amassés pour le voir avaient déchiquetés et brûlés trois jours auparavant.

Il s’agenouilla, fit sa prière, et remarqua non sans éprouver une vive joie qu’en posant sa tête sur le billot et en gardant ses yeux ouverts, il verrait jusqu’au dernier moment la fenêtre grillée du Buytenhof.

Enfin l’heure de faire ce terrible mouvement arriva : Cornélius posa son menton sur le bloc humide et froid. Mais à ce moment malgré lui ses yeux se fermèrent pour soutenir plus résolument l’horrible avalanche qui allait tomber sur sa tête et engloutir sa vie.