Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/174

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plus convaincu qu’il venait de découvrir une conspiration contre le prince d’Orange, Gryphus courut sur son prisonnier le bâton levé, et voyant l’impassible résolution du captif à protéger son pot de fleurs, il sentit que Cornélius tremblait bien moins pour sa tête que pour sa cruche.

Il chercha donc à la lui arracher de vive force.

— Ah ! disait le geôlier furieux, vous voyez bien que vous vous révoltez.

— Laissez-moi ma tulipe ! criait van Baerle.

— Oui, oui, tulipe, répliquait le vieillard. On connaît les ruses de MM. les prisonniers.

— Mais je vous jure…

— Lâchez, répétait Gryphus en frappant du pied ; lâchez, ou j’appelle la garde.

— Appelez qui vous voudrez, mais vous n’aurez cette pauvre fleur qu’avec ma vie.

Gryphus, exaspéré, enfonça ses doigts pour la seconde fois dans la terre, et cette fois en tira le caïeu tout noir, et tandis que van Baerle était heureux d’avoir sauvé le contenant, ne s’imaginant pas que son adversaire possédât le contenu, Gryphus lança violemment le caïeu amolli qui s’écrasa sous la dalle et disparut presque aussitôt broyé, mis en bouillie, sous le large soulier du geôlier.

Van Baerle vit le meurtre, entrevit les débris humides, comprit cette joie féroce de Gryphus et poussa un cri de désespoir qui eût attendri ce geôlier assassin qui, quelques années plus tôt, avait tué l’araignée de Pélisson.

L’idée d’assommer ce méchant homme passa comme un éclair dans le cerveau du tulipier. Le feu et le sang tout ensemble lui montèrent au front, l’aveuglèrent, et il leva de ses deux mains la cruche lourde de toute l’inutile terre