Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moutons sur terre, inoffensive comme le vol d’une troupe d’oiseaux dans l’air.

Harlem n’avait d’autres triomphateurs que ses jardiniers. Adorant les fleurs, Harlem divinisait le fleuriste.

On voyait au centre du cortège pacifique et parfumé, la tulipe noire, portée sur une civière couverte de velours blanc frangé d’or. Quatre hommes portaient les brancards et se voyaient relayés par d’autres, ainsi qu’à Rome étaient relayés ceux qui portaient la mère Cybèle, lorsqu’elle entra dans la ville éternelle, apportée d’Étrurie au son des fanfares et aux adorations de tout un peuple.

Cette exhibition de la tulipe, c’était un hommage rendu par tout un peuple sans culture et sans goût au goût et à la culture des chefs célèbres et pieux dont il savait jeter le sang aux pavés fangeux du Buytenhoff, sauf plus tard à inscrire les noms de ses victimes sur la plus belle pierre du panthéon hollandais.

Il était convenu que le prince stathouder distribuerait certainement lui-même le prix de cent mille florins, ce qui intéressait tout le monde en général, et qu’il prononcerait peut-être un discours, ce qui intéressait en particulier ses amis et ses ennemis.

En effet, dans les discours les plus indifférents des hommes politiques, les amis ou les ennemis de ces hommes veulent toujours y voir reluire et croient toujours pouvoir interpréter par conséquent un rayon de leur pensée.

Comme si le chapeau de l’homme politique n’était pas un boisseau destiné à intercepter toute lumière.

Enfin, ce grand jour tant attendu du 15 mai 1673 était donc arrivé, et Harlem tout entière, renforcée de ses environs, s’était rangée le long des beaux arbres du bois,