Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/76

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Van Baerle fut du nombre des tulipiers qui prirent l’idée ; Boxtel fut au nombre de ceux qui pensèrent à la spéculation. Du moment où van Baerle eut incrusté cette tâche dans sa tête perspicace et ingénieuse, il commença lentement les semis et les opérations nécessaires pour amener du rouge au brun, et du brun au brun foncé, les tulipes qu’il avait cultivées jusque-là.

Dès l’année suivante, il obtint des produits d’un bistre parfait, et Boxtel les aperçut dans sa plate-bande, lorsque lui n’avait encore trouvé que le brun clair.

Peut-être serait-il important d’expliquer aux lecteurs les belles théories qui consistent à prouver que la tulipe emprunte aux éléments ses couleurs ; peut-être nous saurait-on gré d’établir que rien n’est impossible à l’horticulteur qui met à contribution, par sa patience et son génie, le feu du soleil, la candeur de l’eau, les sucs de la terre et les souffles de l’air. Mais ce n’est pas un traité de la tulipe en général, c’est l’histoire d’une tulipe en particulier, que nous avons résolu d’écrire ; nous nous y renfermerons, quelque attrayants que soient les appâts du sujet juxtaposé au nôtre.

Boxtel, encore une fois vaincu par la supériorité de son ennemi, se dégoûta de la culture et, à moitié fou, il se voua tout entier à l’observation.

La maison de son rival était à claire-voie. Jardin ouvert au soleil, cabinets vitrés pénétrables à la vue, casiers, armoires, boîtes et étiquettes dans lesquels le télescope plongeait facilement ; Boxtel laissa pourrir les oignons sur les couches, sécher les coques dans leurs cases, mourir les tulipes sur les plates-bandes, et désormais usant sa