Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/150

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tournant lentement son beaupré vers le cap Pelore, commença de se mouvoir sous l’effort de quatre avirons : quant aux voiles, il n’y fallait pas songer, par un souffle de vent ne traversait l’espace.

Cependant il était évident que, quoique notre équipage eût obéi sans réplique à l’ordre donné, c’était à contre-cœur qu’il se mettait en route ; mais, comme cette espèce de nonchalance pouvait bienvenir aussi du regret que chacun avait de s’éloigner de sa femme ou de sa maîtresse, nous n’y fîmes pas grande attention, et nous continuâmes d’espérer que Nunzio mentirait cette fois à son infaillibilité ordinaire.

Vers les quatre heures, nos matelots, qui peu à peu, et tout en dissimulant cette intention, s’étaient rapprochés des côtes de Sicile, se trouvèrent à un demi-quart de lieue à peu près du village de La Pace ; alors femmes et enfans sortirent et commencèrent à encombrer la côte. Je vis bien quel était le but de cette manœuvre, attribuée simplement au courant, et j’allai au devant du désir de ces braves gens en les autorisant, non pas à débarquer, ils ne le pouvaient pas sans patente, mais à s’approcher du rivage à une assez faible distance pour que partans et restans pussent se faire encore une fois leurs adieux. Ils profitèrent de la permission, et en une vingtaine de coups de rames ils se trouvèrent à portée de la voix. Au bout d’une demi-heure de conversation le capitaine rappela le premier que nous n’avions pas de temps à perdre : on fit voler les mouchoirs et sauter les chapeaux, comme cela se pratique en pareille circonstance, et l’on se mit en route toujours ramant ; pas un souffle d’air ne se faisait sentir, et, au contraire, le temps devenait de plus en plus lourd.

Comme cette disposition atmosphérique me portait tout naturellement au sommeil, et que j’avais si longtemps vu et si souvent revu le double rivage de la Sicile et de la Calabre, que je n’avais plus grande curiosité pour lui, je laissai Jadin fumant sa pipe sur le pont, et j’allai me coucher.

Je dormais depuis trois ou quatre heures à peu près, et tout en dormant je sentais instinctivement qu’il se passait autour de moi quelque chose d’étrange, lorsqu’enfin je fus complètement réveillé par le bruit des matelots courant au