Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/156

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de lui disputer le prix. On parlait bien tout bas d’un certain Agnolo qui, s’il était là, disait-on, soutiendrait à lui seul l’honneur de la Calabre contre la Sicile tout entière ; mais il n’y était pas. On l’avait cherché partout du moment où l’on avait su qu’il y avait bal, et on ne l’avait pas trouvé : selon toute probabilité, il était à Reggio ou à Scylla, ce qui était un grand malheur pour l’amour-propre national des Sangiovannistes. Il faut croire, au reste, que la réputation du susdit Agnolo avait passé le détroit, car le capitaine se pencha à mon oreille, et me dit tout bas :

— Ce n’est pas pour mépriser Pietro, qui a du talent, mais c’est bien heureux pour lui qu’Agnolo ne soit pas ici.

À peine achevait-il la phrase, que de grands cris retentirent sur le rivage, et que la foule des spectateurs s’ouvrit devant un beau garçon de vingt à vingt-deux ans, vêtu de son costume des dimanches. Ce beau garçon, c’était Agnolo ; et ce qui l’avait retardé, c’était sa toilette.

Il était évident que cette apparition était peu agréable à nos gens, et surtout à Pietro, qui se voyait sur le point d’être détrôné, ou tout au moins d’être forcé de partager avec un rival les applaudissemens de la société. Cependant le capitaine ne pouvait se dispenser d’inviter un homme désigné ainsi à notre admiration par la voix publique ; il s’approcha donc du bordage du speronare, à dix pas duquel Agnolo se tenait debout les bras croisés d’un air de défi, et l’invita à prendre part à la fête. Agnolo le remercia avec une certaine courtoisie, et, sans se donner la peine de gagner l’échelle qui était de l’autre côté, il s’accrocha en sautant avec sa main droite au bordage du bâtiment ; puis, à la force des poignets, il s’enleva comme un professeur de voltige, et retomba sur le pont. C’était, comme on dit en style de coulisses, soigner son entrée. Aussi Agnolo, plus heureux sur ce point que beaucoup d’acteurs en réputation, eut-il le bonheur de ne pas manquer son effet.

Alors commença entre Pietro et le nouveau venu une véritable lutte chorégraphique. Nous croyions connaître Pietro depuis le temps que nous le pratiquions, mais nous fûmes forcés d’avouer que c’était la première fois que le vrai Pietro nous apparaissait dans toute sa splendeur. Les gigottemens,