Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/47

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pilote se levait sans quitter le gouvernail, et l’Ave Maria commençait à l’instant même où s’éteignait le dernier rayon du jour.

Comme presque toujours, le vent se leva avec la lune seulement : à sa chaude moiteur nous reconnûmes le siroco ; le capitaine fut le premier à nous inviter à rentrer dans la cabine, et nous suivîmes son avis, à la condition que l’équipage chanterait en chœur sa chanson habituelle.

Rien n’était ravissant comme cet air chanté la nuit et accompagnant de sa mesure la douce ondulation du bâtiment. Je me rappelle que souvent, au milieu de mon sommeil, je l’entendais, et qu’alors, sans m’éveiller tout à fait, sans me rendormir entièrement, je suivais pendant des heures entières sa vague mélodie. Peut-être, si nous l’eussions entendu dans des circonstances différentes et partout ailleurs qu’où nous étions, n’y eussions-nous pas même fait attention. Mais la nuit, mais au milieu de la mer, mais s’élevant de notre petite barque si frêle, au milieu de ces flots si puissans, il s’imprégnait d’un parfum de mélancolie que je n’ai retrouvé que dans quelques mélodies de l’auteur de Norma et des Puritains.

Lorsque nous nous réveillâmes, le vent nous avait poussés au nord, et nous courions des bordées pour doubler Alicudi, que le siroco et le greco, qui soufflaient ensemble, avaient grand’peine à nous permettre. Pour les mettre d’accord ou leur donner le temps de tomber, nous ordonnâmes au capitaine de s’approcher le plus près possible de l’île, et de mettre en panne. Comme il n’y a à Alicudi ni port, ni rade, ni anse, il n’y avait pas moyen d’aborder avec le speronare, mais seulement avec la petite chaloupe ; encore la chose était-elle assez difficile, à cause de la violence avec laquelle l’eau se brisait sur les rochers, lesquels, au reste, polis et glissans comme une glace, n’offraient aucune sécurité au pied qui se hasardait à sauter dessus.

Nous n’arrivâmes pas moins à aborder avec l’aide de Pietro et de Giovanni : il est vrai que Pietro tomba à la mer ; mais, comme nos hommes n’avaient jamais que le pantalon et la chemise, et qu’ils nageaient comme des poissons, nous