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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE

— Que cet œillet sent bon et que cette femme est jolie !

— Elle ne m’a pas vu, murmura Morand, qui, presque agenouillé dans la pénombre du corridor, n’avait effectivement point frappé les regards de la reine.

— Mais, vous, vous l’avez bien vue, n’est-ce pas, Morand ? n’est-ce pas, Geneviève ? dit Maurice doublement heureux, d’abord du spectacle qu’il avait procuré à ses amis, et ensuite du plaisir qu’il venait de faire à si peu de frais à la malheureuse prisonnière.

— Oh ! oui, oui, dit Geneviève, je l’ai bien vue, et, maintenant, quand je vivrais cent ans, je la verrais toujours.

— Et comment la trouvez-vous ?

— Bien belle.

— Et vous, Morand ? Morand joignit les mains sans répondre.

— Dites donc, demanda tout bas et en riant Maurice à Geneviève, est-ce que ce serait de la reine que Morand est amoureux ?

Geneviève tressaillit ; mais, se remettant aussitôt :

— Ma foi, répondit-elle en riant à son tour, cela en a en vérité l’air.

— Eh bien, vous ne me dites pas comment vous l’avez trouvée, Morand, insista Maurice.

— Je l’ai trouvée bien pâle, répondit-il.

Maurice reprit le bras de Geneviève et la fit descendre vers la cour. Dans l’escalier sombre, il lui sembla que Geneviève lui baisait la main.

— Eh bien, dit Maurice, que veut dire cela, Geneviève ?

— Cela veut dire, Maurice, que je n’oublierai jamais que, pour un caprice de moi, vous avez risqué votre tête.

— Oh ! dit Maurice, voilà de l’exagération, Geneviève. De vous à moi, vous savez que la reconnaissance n’est pas le sentiment que j’ambitionne.

Geneviève lui pressa doucement le bras. Morand suivait en trébuchant.

On arriva dans la cour. Lorin vint reconnaître les deux visiteurs et les fit sortir du Temple. Mais, avant de le quitter. Geneviève fit promettre à Maurice de venir dîner vieille rue Saint-Jacques, le lendemain.


CHAPITRE XXII

Simon le censeur



M aurice s’en revint à son poste le cœur tout plein d’une joie presque céleste : il trouva la femme Tison qui pleurait.

— Et qu’avez-vous donc encore, la mère ? demanda-t-il.

— J’ai que je suis furieuse, répondit la geôlière.

— Et pourquoi ?

— Parce que tout est injustice pour les pauvres gens dans ce monde.

— Mais enfin ?…

— Vous êtes riche, vous ; vous êtes bourgeois ; vous venez ici pour un jour seulement, et l’on vous permet de vous y faire visiter par de jolies femmes qui donnent des bouquets à l’Autrichienne ; et moi qui niche perpétuellement dans le colombier, on me défend de voir ma pauvre Sophie.

Maurice lui prit la main et y glissa un assignat de dix livres.

— Tenez, bonne Tison, lui dit-il, prenez cela et ayez courage. Eh ! mon Dieu ! l’Autrichienne ne durera pas toujours.

— Un assignat de dix livres, fit la geôlière, c’est gentil de votre part ; mais j’aimerais mieux une papillote qui eût enveloppé les cheveux de ma pauvre fille.

Elle achevait ces mots quand Simon, qui montait, les entendit, et vit la geôlière serrer dans sa poche l’assignat que lui avait donné Maurice.

Disons dans quelle disposition d’esprit était Simon.

Simon venait de la cour, où il avait rencontré Lorin. Il y avait décidément antipathie entre ces deux hommes.

Cette antipathie était beaucoup moins motivée par la scène violente que nous avons déjà mise sous les yeux de nos lecteurs, que par la différence des races, source éternelle de ces inimitiés ou de ces penchants que l’on appelle les mystères, et qui cependant s’expliquent si bien.