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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Eh morbleu ! dit un des grenadiers de la compagnie de Lorin, entrons tous, pas de préférence pour personne ; s’il se rend, nous le mettrons en réserve pour la guillotine ; s’il résiste, nous l’écharperons.

— Bien dit, fit Lorin ; en avant ! Passons-nous par la porte ou par la fenêtre ?

— Par la porte, dit l’homme de la police ; peut-être, par hasard, la clef y est-elle ; tandis que si nous entrons par la fenêtre, il faudra casser quelques carreaux, et cela ferait du bruit.

— Va pour la porte, dit Lorin ; pourvu que nous entrions, peu m’importe par où. Allons, sabre en main, Maurice.

Maurice tira machinalement son sabre hors du fourreau.

La petite troupe s’avança vers le pavillon. Comme l’homme gris avait indiqué que cela devait être, on rencontra les premières marches du perron, puis l’on se trouva sur le palier, puis dans le vestibule.

— Ah ! s’écria Lorin joyeux, la clef est sur la porte. En effet, il avait étendu la main dans l’ombre, et, comme il l’avait dit, il avait du bout des doigts senti le froid de la clef.

— Allons, ouvre donc, citoyen lieutenant, dit l’homme gris.

Lorin fit tourner avec précaution la clef dans la serrure ; la porte s’ouvrit. Maurice essuya de sa main son front humide de sueur.

— Nous y voilà, dit Lorin.

— Pas encore, fit l’homme gris. Si nos renseignements topographiques sont exacts, nous sommes ici dans l’appartement de la citoyenne Dixmer.

— Nous pouvons nous en assurer, dit Lorin ; allumons des bougies, il reste du feu dans la cheminée.

— Allumons des torches, dit l’homme gris ; les torches ne s’éteignent pas comme les bougies.

Et il prit des mains d’un grenadier deux torches qu’il alluma au foyer mourant. Il en mit une à la main de Maurice, l’autre à la main de Lorin.

— Voyez-vous, dit-il, je ne me trompais pas : voici la porte qui donne dans la chambre à coucher de la citoyenne Dixmer, voilà celle qui donne sur le corridor.

— En avant ! dans le corridor, dit Lorin. On ouvrit la porte du fond, qui n’était pas plus fermée que la première, et l’on se trouva en face de la porte de l’appartement du chevalier. Maurice avait vingt fois vu cette porte, et n’avait jamais demandé où elle allait ; pour lui, le monde se concentrait dans la chambre où le recevait Geneviève.

— Oh ! oh ! dit Lorin à voix basse, ici nous changeons de thèse ; plus de clef et porte close.

— Mais, demanda Maurice, pouvant parler à peine, êtes-vous bien sûr que ce soit là ?

— Si le plan est exact, ce doit être là, répondit l’homme de la police ; d’ailleurs, nous allons bien le voir. Grenadiers, enfoncez la porte ; et vous, citoyens, tenez-vous prêts, aussitôt la porte enfoncée, à vous précipiter dans la chambre.

Quatre hommes, désignés par l’envoyé de la police, levèrent la crosse de leur fusil, et, sur un signe de celui qui conduisait l’entreprise, frappèrent un seul et même coup : la porte vola en éclats.

— Rends-toi, ou tu es mort ! s’écria Lorin en s’élançant dans la chambre.

Personne ne répondit : les rideaux du lit étaient fermés.

— La ruelle ! gare la ruelle ! dit l’homme de la police, en joue, et au premier mouvement des rideaux, faites feu.

— Attendez, dit Maurice, je vais les ouvrir.

Et, sans doute dans l’espérance que Maison-Rouge était caché derrière les rideaux, et que le premier coup de poignard ou de pistolet serait pour lui, Maurice se précipita vers les courtines, qui glissèrent en criant le long de leur tringle. Le lit était vide.

— Mordieu ! dit Lorin, personne !

— Il se sera échappé, balbutia Maurice.

— Impossible, citoyens ! impossible ! s’écria l’homme gris ; je vous dis qu’on l’a vu rentrer il y a une heure, que personne ne l’a vu sortir, et que toutes les issues sont gardées.

Lorin ouvrait les portes des cabinets et des armoires et regardait partout, là même où il était matériellement impossible qu’un homme pût se cacher.

— Personne ! cependant ; vous le voyez bien, personne !

— Personne ! répéta Maurice avec une émotion facile à comprendre ; vous le voyez, en effet, il n’y a personne.

— Dans la chambre de la citoyenne Dixmer, dit l’homme de la police ; peut-être y est-il ?

— Oh ! dit Maurice, respectez la chambre d’une femme.

— Comment donc, dit Lorin, certainement qu’on la respectera, et la citoyenne Dixmer aussi ; mais on la visitera.

— La citoyenne Dixmer ? dit un des grenadiers, enchanté de placer là une mauvaise plaisanterie.

— Non, dit Lorin, la chambre seulement.

— Alors, dit Maurice, laissez-moi passer le premier.

— Passe, dit Lorin ; tu es capitaine : à tout seigneur tout honneur.

On laissa deux hommes pour garder la pièce que l’on venait de quitter ; puis l’on revint dans celle où l’on avait allumé les torches.

Maurice s’approcha de la porte donnant dans la chambre à coucher de Geneviève.

C’était la première fois qu’il allait y entrer.

Son cœur battait avec violence.