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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Ainsi vous êtes venue, vous voilà, je vous tiens, vous ne me quitterez plus !

Geneviève tressaillit.

— Où serais-je allée ? répondit-elle avec amertume. Ai-je un asile, un abri, un protecteur autre que celui qui a mis un prix à sa protection ? oh ! furieuse et folle, j’ai franchi le pont Neuf, Maurice, et en passant je me suis arrêtée pour voir l’eau sombre bruire à l’angle des arches, cela m’attirait, me fascinait. Là, pour toi, me disais-je, pauvre femme, là est un abri ; là est un repos inviolable ; là est l’oubli.

— Geneviève, Geneviève ! s’écria Maurice, vous avez dit cela ?… Mais vous ne m’aimez donc pas ?

— Je l’ai dit, répondit Geneviève à voix basse ; je l’ai dit et je suis venue.

Maurice respira et se laissa glisser à ses pieds.

— Geneviève, murmura-t-il, ne pleurez plus. Geneviève, consolez-vous de tous vos malheurs, puisque vous m’aimez. Geneviève, au nom du ciel, dites-moi que ce n’est point la violence de mes menaces qui vous a amenée ici. Dites-moi que, quand même vous ne m’eussiez pas vu ce soir, en vous trouvant seule, isolée, sans asile, vous y fussiez venue, et acceptez le serment que je vous fais de vous délier du serment que je vous ai forcée de faire.

Geneviève abaissa sur le jeune homme un regard empreint d’une ineffable reconnaissance.

— Généreux ! dit-elle. Oh ! mon Dieu, je vous remercie, il est généreux !

— Écoutez, Geneviève, dit Maurice, Dieu que l’on chasse ici de ses temples, mais que l’on ne peut chasser de nos cœurs où il a mis l’amour, Dieu a fait cette soirée lugubre en apparence, mais étincelante au fond de joies et de félicités. Dieu vous a conduite à moi, Geneviève, il vous a mise entre mes bras, il vous parle par mon souffle. Dieu, enfin, Dieu veut récompenser ainsi tant de souffrances que nous avons endurées, tant de vertus que nous avons déployées en combattant cet amour qui semblait illégitime, comme si un sentiment si longtemps pur et toujours si profond pouvait être un crime. Ne pleurez donc plus, Geneviève ! Geneviève, donnez-moi votre main. Voulez-vous être chez un frère, voulez-vous que ce frère baise avec respect le bas de votre robe, s’éloigne les mains jointes et franchisse le seuil sans retourner la tête ? Eh bien ! dites un mot, faites un signe, et vous allez me voir m’éloigner, et vous serez seule, libre et en sûreté comme une vierge dans une église. Mais au contraire, ma Geneviève adorée, voulez-vous vous souvenir que je vous ai tant aimée que j’ai failli en mourir, que pour cet amour que vous pouvez faire fatal ou heureux, j’ai trahi les miens, que je me suis rendu odieux et vil à moi-même ; voulez-vous songer à tout ce que l’avenir nous garde de bonheur ; à la force et à l’énergie qu’il y a dans notre jeunesse et dans notre amour pour défendre ce bonheur qui commence contre quiconque voudrait l’attaquer ! Oh ! Geneviève, toi, tu es un ange de bonté, veux-tu, dis ? veux-tu rendre un homme si heureux qu’il ne regrette plus la vie et qu’il ne désire plus le bonheur éternel ? Alors, au lieu de me repousser, souris-moi, ma Geneviève, laisse-moi appuyer ta main sur mon cœur, penche-toi vers celui qui t’aspire de toute sa puissance, de tous ses vœux, de toute son âme ; Geneviève, mon amour, ma vie, Geneviève, ne reprends pas ton serment !

Le cœur de la jeune femme se gonflait à ces douces paroles : la langueur de l’amour, la fatigue de ses souffrances passées épuisaient ses forces ; les larmes ne revenaient plus à ses yeux, et cependant les sanglots soulevaient encore sa poitrine brûlante.

Maurice comprit qu’elle n’avait plus de courage pour résister, il la saisit dans ses bras. Alors elle laissa tomber sa tête sur son épaule, et ses longs cheveux se dénouèrent sur les joues ardentes de son amant.

En même temps Maurice sentit bondir sa poitrine, soulevée encore comme les vagues après l’orage.

— Oh ! tu pleures, Geneviève, lui dit-il avec une profonde tristesse, tu pleures. Oh ! rassure-toi. Non, non, jamais je n’imposerai l’amour à une douleur dédaigneuse. Jamais mes lèvres ne se souilleront d’un baiser qu’empoisonnera une seule larme de regret.

Et il desserra l’anneau vivant de ses bras, il écarta son front de celui de Geneviève et se détourna lentement.

Mais aussitôt, par une de ces réactions si naturelles à la femme qui se défend et qui désire tout en se défendant, Geneviève jeta au cou de Maurice ses bras tremblants, l’étreignit avec violence et colla sa joue glacée et humide encore des larmes qui venaient de se tarir sur la joue ardente du jeune homme.

— Oh ! murmura-t-elle, ne m’abandonne pas, Maurice, car je n’ai plus que toi au monde.