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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

neront de moi. Je me dois à mes enfants, on ne les tuera pas, ou, si on les tue et que je sois libre, oh ! alors au moins…

Elle n’acheva pas, ses yeux se fermèrent, sa bouche étouffa sa voix. Ce fut un rêve effrayant que celui de cette pauvre reine dans une chambre fermée de verrous et de grilles. Mais bientôt, dans son rêve toujours, grilles et verrous tombèrent ; elle se vit au milieu d’une armée sombre, impitoyable ; elle ordonnait à la flamme de briller, au fer de sortir du fourreau ; elle se vengeait d’un peuple qui, au bout du compte, n’était pas le sien.

Pendant ce temps, Gilbert et Duchesne causaient tranquillement et préparaient leur repas du soir.

Pendant ce temps aussi, Dixmer et Geneviève entraient à la Conciergerie, et, comme d’habitude, s’installaient dans le greffe. Au bout d’une heure de cette installation, comme d’habitude encore, le greffier du Palais achevait sa tâche et les laissait seuls.

Dès que la porte se fut refermée sur son collègue, Dixmer se précipita vers le panier vide déposé à la porte en échange du panier du soir.

Il saisit le morceau de pain, le brisa et retrouva l’étui.

Le mot de la reine y était renfermé ; il le lut en pâlissant.

Et comme Geneviève l’observait, il déchira le papier en mille morceaux qu’il vint jeter dans la gueule enflammée du poêle.

— C’est bien, dit-il ; tout est convenu.

Puis, se retournant vers Geneviève :

— Venez, madame, dit-il.

— Moi ?

— Oui, il faut que je vous parle bas.

Geneviève, immobile et froide comme le marbre, fit un geste de résignation et s’approcha.

— Voici l’heure venue, madame, dit Dixmer ; écoutez-moi.

— Oui, monsieur.

— Vous préférez une mort utile à votre cause, une mort qui vous fasse bénir de tout un parti et plaindre de tout un peuple, à une mort ignominieuse et toute de vengeance, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

— J’eusse pu vous tuer sur place lorsque je vous ai rencontrée chez votre amant ; mais un homme qui a, comme moi, consacré sa vie à une œuvre honorable et sainte, doit savoir tirer parti de ses propres malheurs en les consacrant à cette cause, c’est ce que j’ai fait, ou plutôt ce que je compte faire. Je me suis, comme vous l’avez vu, refusé le plaisir de me faire justice. J’ai aussi épargné votre amant.

Quelque chose comme un sourire fugitif mais terrible passa sur les lèvres décolorées de Geneviève.

— Mais, quant à votre amant, vous devez comprendre, vous qui me connaissez, que je n’ai attendu que pour trouver mieux.

— Monsieur, dit Geneviève, je suis prête ; pourquoi donc alors ce préambule ?

— Vous êtes prête ?

— Oui, vous me tuez. Vous avez raison, j’attends.

Dixmer regarda Geneviève et tressaillit malgré lui ; elle était sublime en ce moment : une auréole l’éclairait, la plus brillante de toutes, celle qui vient de l’amour.

— Je continue, reprit Dixmer. J’ai prévenu la reine ; elle attend ; cependant, selon toute probabilité, elle fera quelques objections, mais vous la forcerez.

— Bien, monsieur ; donnez vos ordres, et je les exécuterai.

— Tout à l’heure, continua Dixmer, je vais heurter à la porte, Gilbert va ouvrir ; avec ce poignard (Dixmer ouvrit son habit et montra, en le tirant à moitié du fourreau, un poignard à double tranchant) ;— avec ce poignard, je le tuerai.

Geneviève frissonna malgré elle. Dixmer fit un signe de la main pour lui imposer l’attention.

— Au moment où je le frappe, continua-t-il, vous vous élancez dans la seconde chambre, dans celle où est la reine. Il n’y a pas de porte, vous le savez, seulement un paravent, et vous changez d’habits avec elle, tandis que je tue le second soldat. Alors je prends le bras de la reine, et je passe le guichet avec elle.

— Fort bien, dit froidement Geneviève.

— Vous comprenez ? continua Dixmer ; chaque soir on vous voit avec ce mantelet de taffetas noir qui cache ce visage. Mettez votre mantelet à Sa Majesté, et drapez-le comme vous avez l’habitude de le draper vous-même.

— Je le ferai ainsi que vous le dites, monsieur.

— Il me reste maintenant à vous pardonner et à vous remercier, madame, dit Dixmer.

Geneviève secoua la tête avec un froid sourire.

— Je n’ai pas besoin de votre pardon, ni de votre merci, monsieur, dit-elle en étendant la main ; ce que je fais, ou plutôt ce que je vais faire, effacerait un crime, et je n’ai commis qu’une faiblesse ; et encore cette faiblesse, rappelez-vous votre conduite, monsieur, vous m’avez presque forcée à la commettre. Je m’éloignais de lui, et vous me repoussiez dans ses bras ; de sorte que vous êtes l’instigateur, le juge et le vengeur. C’est donc à moi de vous pardonner ma mort, et je vous la pardonne. C’est donc à moi de vous remercier, monsieur, de m’ôter la vie, puisque la vie m’eût été insupportable séparée de l’homme que j’aime uniquement, depuis cette heure surtout où vous avez brisé par votre féroce vengeance tous les liens qui m’attachaient à lui.

Dixmer s’enfonçait les ongles dans la poitrine ; il voulut répondre, la voix lui manqua.

Il fit quelques pas dans le greffe.