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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

maison située au delà des murs du Jardin des Plantes. Quand nous serons là, vous me quitterez.

— Fort bien, madame. Ordonnez, je suis là pour vous obéir.

— Vous vous fâchez ?

— Moi ? Pas le moins du monde ; d’ailleurs, que vous importe ?

— Il m’importe beaucoup, car j’ai encore une grâce à vous demander.

— Laquelle ?

— C’est un adieu bien affectueux et bien franc… un adieu d’ami !

— Un adieu d’ami ! Oh ! vous me faites trop d’honneur, madame. Un singulier ami que celui qui ne sait pas le nom de son amie, et à qui cette amie cache sa demeure, de peur sans doute d’avoir l’ennui de le revoir.

La jeune femme baissa la tête et ne répondit pas.

— Au reste, madame, continua Maurice, si j’ai surpris quelque secret, il ne faut pas m’en vouloir ; je n’y tâchais pas.

— Me voici arrivée, monsieur, dit l’inconnue.

On était en face de la vieille rue Saint-Jacques, bordée de hautes maisons noires, percée d’allées obscures, de ruelles occupées par des usines et des tanneries, car à deux pas coule la petite rivière de Bièvre.

— Ici ? dit Maurice. Comment ! c’est ici que vous demeurez ?

— Oui.

— Impossible !

— C’est cependant ainsi. Adieu, adieu donc, mon brave chevalier ; adieu, mon généreux protecteur !

— Adieu, madame, répondit Maurice avec une légère ironie ; mais dites-moi, pour me tranquilliser, que vous ne courez plus aucun danger.

— Aucun.

— En ce cas, je me retire.

Et Maurice fit un froid salut en se reculant de deux pas en arrière.

L’inconnue demeura un instant immobile à la même place.

— Je ne voudrais cependant pas prendre congé de vous ainsi, dit-elle. Voyons, monsieur Maurice, votre main.

Maurice se rapprocha de l’inconnue et lui tendit la main.

Il sentit alors que la jeune femme lui glissait une bague au doigt.

— Oh ! oh ! citoyenne, que faites-vous donc là ? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une de vos bagues ?

— Oh ! monsieur, dit-elle, ce que vous faites là est bien mal.

— Il me manquait ce vice, n’est-ce pas, madame, d’être ingrat ?

— Voyons, je vous en supplie, monsieur… mon ami. Ne me quittez pas ainsi. Voyons, que demandez-vous ? Que vous faut-il ?

— Pour être payé, n’est-ce pas ? dit le jeune homme avec amertume.

— Non, dit l’inconnue avec une expression enchanteresse, mais pour me pardonner le secret que je suis forcée de garder envers vous.

Maurice, en voyant luire dans l’obscurité ces beaux yeux presque humides de larmes, en sentant frémir cette main tiède entre les siennes, en entendant cette voix qui était presque descendue à l’accent de la prière, passa tout à coup de la colère au sentiment exalté.

— Ce qu’il me faut ? s’écria-t-il. Il faut que je vous revoie.

— Impossible.

— Ne fût-ce qu’une seule fois, une heure, une minute, une seconde.

— Impossible, je vous dis.

— Comment ! demanda Maurice, c’est sérieusement que vous me dites que je ne vous reverrai jamais ?

— Jamais ! répondit l’inconnue comme un douloureux écho.

— Oh ! madame, dit Maurice, décidément vous vous jouez de moi.

Et il releva sa noble tête en secouant ses longs cheveux à la manière d’un homme qui veut échapper à un pouvoir qui l’étreint malgré lui.

L’inconnue le regardait avec une expression indéfinissable. On voyait qu’elle n’avait pas entièrement échappé au sentiment qu’elle inspirait.

— Écoutez, dit-elle après un moment de silence qui n’avait été interrompu que par un soupir qu’avait inutilement cherché à étouffer Maurice. Écoutez ! me jurez-vous sur l’honneur de tenir vos yeux fermés du moment où je vous le dirai jusqu’à celui où vous aurez compté soixante secondes ? Mais là… sur l’honneur.

— Et, si je le jure, que m’arrivera-t-il ?

— Il arrivera que je vous prouverai ma reconnaissance, comme je vous promets de ne la prouver jamais à personne, fît-on pour moi plus que vous n’avez fait vous-même ; ce qui, au reste, serait difficile.

— Mais enfin puis-je savoir ?…

— Non, fiez-vous à moi, vous verrez…

— En vérité, madame, je ne sais si vous êtes un ange ou un démon.

— Jurez-vous ?

— Eh bien, oui, je le jure !

— Quelque chose qui arrive, vous ne rouvrirez pas les yeux ?… Quelque chose qui arrive, comprenez-vous bien, vous sentissiez-vous frappé d’un coup de poignard ?

— Vous m’étourdissez, ma parole d’honneur, avec cette exigence.