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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

pauvre et solitaire ; mais au premier coup qu’il frappa, la lumière s’éteignit.

Maurice redoubla, mais nul ne répondit à son appel ; il vit que c’était un parti pris de ne pas répondre. Il comprit qu’il perdait inutilement son temps à frapper, traversa la cour et rentra sous l’allée.

En même temps, la porte de la maison tourna doucement sur ses gonds ; trois hommes en sortirent et un coup de sifflet retentit.

Maurice se retourna et vit trois ombres à la distance de deux longueurs de son bâton.

Dans les ténèbres, à la lueur de cette espèce de lumière qui existe toujours pour les yeux depuis longtemps habitués à l’obscurité, reluisaient trois lames aux reflets fauves.

Maurice comprit qu’il était cerné. Il voulut faire le moulinet avec son bâton ; mais l’allée était si étroite que son bâton toucha les deux murs. Au même instant, un violent coup, porté sur la tête, l’étourdit. C’était une agression imprévue faite par les quatre hommes qui étaient sortis de la muraille. Sept hommes se jetèrent à la fois sur Maurice, et, malgré une résistance désespérée, le terrassèrent, lui lièrent les mains et lui bandèrent les yeux.

Maurice n’avait pas jeté un cri, n’avait pas appelé à l’aide. La force et le courage veulent toujours se suffire à eux-mêmes et semblent avoir honte d’un secours étranger.

D’ailleurs, Maurice eût appelé que, dans ce quartier désert, personne ne fût venu.

Maurice fut donc lié et garrotté sans, comme nous l’avons dit, qu’il eût poussé une plainte.

Il avait réfléchi, au reste, que si on lui bandait les yeux, ce n’était pas pour le tuer tout de suite. À l’âge de Maurice, tout répit est un espoir.

Il recueillit donc toute sa présence d’esprit et attendit.

— Qui es-tu ? demanda une voix encore animée par la lutte.

— Je suis un homme que l’on assassine, répondit Maurice.

— Il y a plus, tu es un homme mort, si tu parles haut, que tu appelles ou que tu cries.

— Si j’eusse dû crier, je n’eusse point attendu jusqu’à présent.

— Es-tu prêt à répondre à mes questions ?

— Questionnez d’abord, je verrai après si je dois répondre.

— Qui t’envoie ici ?

— Personne.

— Tu y viens donc de ton propre mouvement ?

— Oui.

— Tu mens.

Maurice fit un mouvement terrible pour dégager ses mains ; la chose était impossible.

— Je ne mens jamais ! dit-il.

— En tout cas, que tu viennes de ton propre mouvement, ou que tu sois envoyé, tu es un espion.

— Et vous des lâches !

— Des lâches, nous ?

— Oui, vous êtes sept ou huit contre un homme garrotté, et vous insultez cet homme. Lâches ! lâches ! lâches !

Cette violence de Maurice, au lieu d’aigrir ses adversaires, parut les calmer : cette violence même était la preuve que le jeune homme n’était pas ce dont on l’accusait ; un véritable espion eût tremblé et demandé grâce.

— Il n’y a pas d’insulte là, dit une voix plus douce, mais en même temps plus impérieuse qu’aucune de celles qui avaient parlé. Dans le temps où nous vivons, on peut être espion sans être malhonnête homme : seulement, on risque sa vie.

— Soyez le bienvenu, vous qui avez prononcé cette parole ; j’y répondrai loyalement.

— Qu’êtes-vous venu faire dans ce quartier ?

— Y chercher une femme.

Un murmure d’incrédulité accueillit cette excuse. Ce murmure grossit et devint un orage.

— Tu mens ! reprit la même voix. Il n’y a point de femme, et nous savons ce que nous entendons par femme, il n’y a point de femme à poursuivre dans ce quartier ; avoue ton projet, ou tu mourras.

— Allons donc, dit Maurice. Vous ne me tueriez pas pour le plaisir de me tuer, à moins que vous ne soyez de véritables brigands.

Et Maurice fit un second effort plus violent et plus inattendu encore que le premier pour dégager ses mains de la corde qui les liait ; mais soudain un froid douloureux et aigu lui déchira la poitrine.

Maurice fit malgré lui un mouvement en arrière.

— Ah ! tu sens cela, dit un des hommes. Eh bien, il y a encore huit pouces pareils au pouce avec lequel tu viens de faire connaissance.

— Alors, achevez, dit Maurice avec résignation. Ce sera fini tout de suite, au moins.

— Qui es-tu ? Voyons ! dit la voix douce et impérieuse à la fois.

— C’est mon nom que vous voulez savoir ?

— Oui, ton nom ?

— Je suis Maurice Lindey.

— Quoi ! s’écria une voix, Maurice Lindey, le revoluti… le patriote ? Maurice Lindey, secrétaire de la section Lepelletier ?

Ces paroles furent prononcées avec tant de chaleur, que Maurice vit bien qu’elles étaient décisives. Y répondre, c’était, d’une façon ou de l’autre, fixer invariablement son sort.

Maurice était incapable d’une lâcheté. Il se redressa en vrai Spartiate, et dit d’une voix ferme :

— Oui, Maurice Lindey ; oui, Maurice Lindey, le secrétaire de la section Lepelletier ; oui, Maurice Lindey, le patriote, le révolutionnaire, le jacobin ; Maurice Lindey enfin, dont le plus beau jour sera celui où il mourra pour la liberté.