Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/233

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et prenant l’absorption de Dantès pour une admiration portée au plus haut degré.

— Je pense à une chose d’abord, c’est à la somme énorme d’intelligence qu’il vous a fallu dépenser pour arriver au but où vous êtes parvenu ; qu’eussiez-vous donc fait libre ?

— Rien, peut-être : ce trop plein de mon cerveau se fût évaporé en futilités. Il faut le malheur pour creuser certaines mines mystérieuses cachées dans l’intelligence humaine ; il faut la pression pour faire éclater la poudre. La captivité a réuni sur un seul point toutes mes facultés flottantes çà et là ; elles se sont heurtées dans un espace étroit ; et, vous le savez, du choc des nuages résulte l’électricité, de l’électricité l’éclair, de l’éclair la lumière.

— Non, je ne sais rien, dit Dantès, abattu par son ignorance ; une partie des mots que vous prononcez sont pour moi des mots vides de sens ; vous êtes bien heureux d’être si savant, vous !

L’abbé sourit.

— Vous pensiez à deux choses, disiez-vous tout à l’heure ?

— Oui.

— Et vous ne m’avez fait connaître que la première ; quelle est la seconde ?

— La seconde est que vous m’avez raconté votre vie, et que vous ne connaissez pas la mienne.

— Votre vie, jeune homme, est bien courte pour renfermer des événements de quelque importance.

— Elle renferme un immense malheur, dit Dantès, un malheur que je n’ai pas mérité ; et je voudrais, pour ne plus blasphémer Dieu comme je l’ai fait quelquefois, pouvoir m’en prendre aux hommes de mon malheur.