Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et me respectent, non pas comme un père, je suis trop jeune pour cela, mais comme un frère aîné.

— Mais, à défaut d’ennemis, peut-être avez-vous des jaloux : vous allez être nommé capitaine à dix-neuf ans, ce qui est un poste élevé dans votre état ; vous allez épouser une jolie femme qui vous aime, ce qui est un bonheur rare dans tous les états de la terre ; ces deux préférences du destin ont pu vous faire des envieux.

— Oui, vous avez raison. Vous devez mieux connaître les hommes que moi, et c’est possible ; mais si ces envieux devaient être parmi mes amis, je vous avoue que j’aime mieux ne pas les connaître pour ne point être forcé de les haïr.

— Vous avez tort, Monsieur. Il faut toujours autant que possible voir clair autour de soi ; et, en vérité, vous me paraissez un si digne jeune homme, que je vais m’écarter pour vous des règles ordinaires de la justice et vous aider à faire jaillir la lumière en vous communiquant la dénonciation qui vous amène devant moi : voici le papier accusateur ; reconnaissez-vous l’écriture ?

Et Villefort tira la lettre de sa poche et la présenta à Dantès. Dantès regarda et lut. Un nuage passa sur son front, et il dit :

— Non, Monsieur, je ne connais pas cette écriture ; elle est déguisée, et cependant elle est d’une forme assez franche. En tous cas, c’est une main habile qui l’a tracée. Je suis bien heureux, ajouta-t-il en regardant avec reconnaissance Villefort, d’avoir affaire à un homme tel que vous, car en effet mon envieux est un véritable ennemi.

Et à l’éclair qui passa dans les yeux du jeune homme en prononçant ces paroles, Villefort put distinguer tout