Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/165

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dites, et n’est-ce pas une chose bien facile puisqu’il n’y a que cela à faire ? regardez.

À ces mots, il découvrit à son tour la petite coupe de vermeil qui contenait la substance tant louée, prit une cuillerée à café des confitures magiques, la porta à sa bouche et la savoura lentement, les yeux à moitié fermés et la tête renversée en arrière.

Franz lui laissa tout le temps d’absorber son mets favori ; puis, lorsqu’il le vit un peu revenu à lui :

— Mais enfin, dit-il, qu’est-ce que ce mets si précieux ?

— Avez-vous entendu parler du Vieux de la Montagne, lui demanda son hôte, le même qui voulut faire assassiner Philippe-Auguste ?

— Sans doute.

— Eh bien ! vous savez qu’il régnait sur une riche vallée qui dominait la montagne d’où il avait pris son nom pittoresque. Dans cette vallée étaient de magnifiques jardins plantés par Hassen-ben-Sabah, et, dans ces jardins, des pavillons isolés. C’est dans ces pavillons qu’il faisait entrer ses élus, et là il leur faisait manger, dit Marco-Polo, une certaine herbe qui les transportait dans le paradis, au milieu de plantes toujours fleuries, de fruits toujours mûrs, de femmes toujours vierges. Or, ce que ces jeunes gens bienheureux prenaient pour la réalité, c’était un rêve ; mais un rêve si doux, si enivrant, si voluptueux, qu’ils se vendaient corps et âme à celui qui le leur avait donné, et qu’obéissant à ses ordres comme à ceux de Dieu, ils allaient frapper au bout du monde la victime indiquée, mourant dans les tortures sans se plaindre, à la seule idée que la mort qu’ils subissaient n’était qu’une transition à cette vie de délices dont cette herbe sainte, servie devant vous, leur avait donné un avant-goût.