Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/169

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— Ma foi, dit Franz, ce sera la chose du monde la plus facile, car je crois qu’il me pousse des ailes d’aigle, et, avec ces ailes, je ferais le tour du monde en vingt-quatre heures.

— Ah ! ah ! c’est le hatchis qui opère ; eh bien ! ouvrez vos ailes et envolez-vous dans les régions surhumaines, ne craignez rien, on veille sur vous, et si, comme celles d’Icare, vos ailes fondent au soleil, nous sommes là pour vous recevoir.

Alors il dit quelques mots arabes à Ali, qui fit un geste d’obéissance et se retira, mais sans s’éloigner.

Quant à Franz, une étrange transformation s’opérait en lui. Toute la fatigue physique de la journée, toute la préoccupation d’esprit qu’avaient fait naître les événements du soir disparaissaient comme dans ce premier moment de repos où l’on vit encore assez pour sentir venir le sommeil. Son corps semblait acquérir une légèreté immatérielle, son esprit s’éclaircissait d’une façon inouïe, ses sens semblaient doubler leurs facultés ; l’horizon allait toujours s’élargissant, mais non plus cet horizon sombre sur lequel planait une vague terreur et qu’il avait vu avant son sommeil, mais un horizon bleu ; transparent, vaste, avec tout ce que la mer a d’azur, avec tout ce que le soleil a de paillettes, avec tout ce que la brise a de parfums ; puis, au milieu des chants de ses matelots, chants si limpides et si clairs qu’on en eût fait une harmonie divine si l’on eût pu les noter, il voyait apparaître l’île de Monte-Cristo, non plus comme un écueil menaçant sur les vagues, mais comme une oasis perdue dans le désert ; puis à mesure que la barque approchait, les chants devenaient plus nombreux, car une harmonie enchanteresse et mystérieuse montait de cette île à Dieu, comme si quelque fée, comme Lorelay, ou quelque en-