Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/236

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carnaval étant, dans tous les pays de la terre qui célèbrent cette estimable institution, une époque de liberté où les plus sévères se laissent entraîner à quelque acte de folie. Or, comme le carnaval s’ouvrait le lendemain, il était fort important qu’Albert lançât son prospectus avant cette ouverture.

Albert avait donc, dans cette intention, loué une des loges les plus apparentes du théâtre, et fait, pour s’y rendre, une toilette irréprochable. C’était au premier rang, qui remplace chez nous la galerie. Au reste, les trois premiers étages sont aussi aristocratiques les uns que les autres, et on les appelle pour cette raison les rangs nobles.

Au reste cette loge, où l’on pouvait tenir à douze sans être serrés, avait coûté aux deux amis un peu moins cher qu’une loge de quatre personnes à l’Ambigu.

Albert avait encore un autre espoir, c’est que s’il arrivait à prendre place dans le cœur d’une belle Romaine, cela le conduirait naturellement à conquérir un posto dans la voiture, et par conséquent à voir le carnaval du haut d’un véhicule aristocratique ou d’un balcon princier.

Toutes ces considérations rendaient donc Albert plus sémillant qu’il ne l’avait jamais été. Il tournait le dos aux acteurs, se penchant à moitié hors de la loge et lorgnant toutes les jolies femmes avec une jumelle de six pouces de long.

Ce qui n’amenait pas une seule jolie femme à récompenser d’un seul regard, même de curiosité, tout le mouvement que se donnait Albert.

En effet, chacun causait de ses affaires, de ses amours, de ses plaisirs, du carnaval qui s’ouvrait le lendemain de la semaine sainte prochaine, sans faire attention un seul instant ni aux acteurs, ni à la pièce, à l’exception