Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/25

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Mais à peine eut-il fait un quart de lieue, qu’ayant trouvé l’occasion de tirer et de tuer un chevreau, il envoya Jacopo le porter à ses compagnons, les invitant à le faire cuire et à lui donner, lorsqu’il serait cuit, le signal d’en manger sa part en tirant un coup de fusil ; quelques fruits secs et un fiasco de vin de Monte-Pulciano devaient compléter l’ordonnance du repas.

Dantès continua son chemin en se retournant de temps en temps. Arrivé au sommet d’une roche, il vit à mille pieds au-dessous de lui ses compagnons que venait de rejoindre Jacopo, et qui s’occupaient déjà activement des apprêts du déjeuner, augmenté, grâce à l’adresse d’Edmond, d’une pièce capitale.

Edmond les regarda un instant avec ce sourire doux et triste de l’homme supérieur.

— Dans deux heures, dit-il, ces gens-là repartiront, riches de cinquante piastres, pour aller, en risquant leur vie, essayer d’en gagner cinquante autres ; puis reviendront, riches de six cents livres, dilapider ce trésor dans une ville quelconque, avec la fierté des sultans et la confiance des nababs. Aujourd’hui l’espérance fait que je méprise leur richesse, qui me paraît la plus profonde misère ; demain la déception fera peut-être que je serai forcé de regarder cette profonde misère comme le suprême bonheur… Oh ! non, s’écria Edmond, cela ne sera pas ; le savant, l’infaillible Faria ne se serait point trompé sur cette seule chose. D’ailleurs autant vaudrait mourir que de continuer de mener cette vie misérable et inférieure.

Ainsi Dantès qui, il y a trois mois, n’aspirait qu’à la liberté, n’avait déjà plus assez de la liberté et aspirait à la richesse ; la faute n’en était pas à Dantès, mais à Dieu, qui, en bornant la puissance de l’homme, lui a fait des