Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/263

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une singulière conversation pour un jour de carnaval. Comment donc cela est-il venu ? Ah ! je me le rappelle ! vous m’avez demandé une place à ma fenêtre ; eh bien ! soit, vous l’aurez ; mais mettons-nous à table d’abord, car voilà qu’on vient nous annoncer que nous sommes servis.

En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles :

Al suo commodo !

Les deux jeunes gens se levèrent et passèrent dans la salle à manger.

Pendant le déjeuner, qui était excellent et servi avec une recherche infinie, Franz chercha des yeux le regard d’Albert, afin d’y lire l’impression qu’il ne doutait pas qu’eussent produite en lui les paroles de leur hôte ; mais, soit que dans leur insouciance habituelle il ne leur eût pas prêté une grande attention, soit que la concession que le comte de Monte-Cristo lui avait faite à l’endroit du duel l’eût raccommodé avec lui, soit enfin que les antécédents que nous avons racontés, connus de Franz seul, eussent doublé pour lui seul l’effet des théories du comte, il ne s’aperçut pas que son compagnon fût préoccupé le moins du monde ; tout au contraire, il faisait honneur au repas en homme condamné depuis quatre ou cinq mois à la cuisine italienne, c’est-à-dire à l’une des plus mauvaises cuisines du monde. Quant au comte, il effleurait à peine chaque plat ; on eût dit qu’en se mettant à table avec ses convives il accomplissait un simple devoir de politesse, et qu’il attendait leur départ pour se faire servir quelque mets étrange ou particulier.

Cela rappelait malgré lui à Franz la terreur que le comte avait inspirée à la comtesse G…, et la conviction où il l’avait laissée que le comte, l’homme qu’il lui avait