Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/36

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peut-être même il n’y est jamais venu, ou, s’il y est venu, César Borgia, l’intrépide aventurier, l’infatigable et sombre larron, y est venu après lui, a découvert sa trace, a suivi les mêmes brisées que moi, comme moi a soulevé cette pierre, et, descendu avant moi, ne m’a rien laissé à prendre après lui.

Il resta un moment immobile, pensif, les yeux fixés sur cette ouverture sombre et continue.

— Or, maintenant que je ne compte plus sur rien, maintenant que je me suis dit qu’il serait insensé de conserver quelque espoir, la suite de cette aventure est pour moi une chose de curiosité, voilà tout.

Et il demeura encore immobile et méditant.

— Oui, oui, ceci est une aventure à trouver sa place dans la vie mêlée d’ombre et de lumière de ce royal bandit, dans ce tissu d’événements étranges qui composent la trame diaprée de son existence ; ce fabuleux événement a dû s’enchaîner invinciblement aux autres choses ; oui, Borgia est venu quelque nuit ici, un flambeau d’une main, une épée de l’autre, tandis qu’à vingt pas de lui, au pied de cette roche peut-être, se tenaient, sombres et menaçants, deux sbires interrogeant la terre, l’air et la mer, pendant que leur maître entrait comme je vais le faire, secouant les ténèbres de son bras redoutable et flamboyant.

Oui ; mais des sbires auxquels il aura livré ainsi son secret, qu’en aura fait César ? se demanda Dantès.

Ce qu’on fit, se répondit-il en souriant, des ensevelisseurs d’Alaric, que l’on enterra avec l’enseveli.

Cependant, s’il y était venu, reprit Dantès, il eût retrouvé et pris le trésor ; Borgia, l’homme qui comparait l’Italie à un artichaut, et qui la mangeait feuille à feuille, Borgia savait trop bien l’emploi du temps pour avoir perdu le sien à replacer ce rocher sur sa base.