Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/310

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Sélim : dans les grands périls, les cœurs dévoués se cherchent, et, tout enfant que j’étais, je sentais instinctivement qu’un grand malheur planait sur nos têtes.

Albert avait souvent entendu raconter, non point par son père, qui n’en parlait jamais, mais par des étrangers, les derniers moments du vizir de Janina ; il avait lu différents récits de sa mort ; mais cette histoire, devenue vivante dans la personne et par la voix de la jeune fille, cet accent vivant et cette lamentable élégie, le pénétraient tout à la fois d’un charme et d’une horreur inexprimables.

Quant à Haydée, toute à ces terribles souvenirs, elle avait cessé un instant de parler ; son front, comme une fleur qui se penche un jour d’orage, s’était incliné sur sa main, et ses yeux, perdus vaguement, semblaient voir encore à l’horizon le Pinde verdoyant et les eaux bleues du lac de Janina, miroir magique qui reflétait le sombre tableau qu’elle esquissait.

Monte-Cristo la regardait avec une indéfinissable expression d’intérêt et de pitié.

— Continue, ma fille, dit le comte en langue romaïque.

Haydée releva le front, comme si les mots sonores que venait de prononcer Monte-Cristo l’eussent tirée d’un rêve, et elle reprit :

— Il était quatre heures du soir ; mais bien que le jour fût pur et brillant au dehors, nous étions, nous, plongés, dans l’ombre du souterrain.

Une seule lueur brillait dans la caverne, pareille à une étoile tremblant au fond d’un ciel noir : c’était la mèche de Sélim. Ma mère était chrétienne, et elle priait.

Sélim répétait de temps en temps ces paroles consacrées :