Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— La justice de Dieu ! ne m’en parlez pas, monsieur l’abbé ; s’il y avait une justice de Dieu, vous savez mieux que personne qu’il y a des gens qui seraient punis et qui ne le sont pas.

— Patience ! dit l’abbé d’un ton qui fit frémir le moribond, patience !

Caderousse le regarda avec étonnement.

— Et puis, dit l’abbé, Dieu est plein de miséricorde pour tous, comme il a été pour toi : il est père avant d’être juge.

— Ah ! vous croyez donc à Dieu, vous ? dit Caderousse.

— Si j’avais le malheur de n’y pas avoir cru jusqu’à présent, dit Monte-Cristo, j’y croirais en te voyant.

Caderousse leva ses poings crispés au ciel.

— Écoute, dit l’abbé en étendant la main sur le blessé comme pour lui commander la foi, voilà ce qu’il a fait pour toi, ce Dieu que tu refuses de reconnaître à ton dernier moment : il t’avait donné la santé, la force, un travail assuré, des amis même, la vie enfin telle qu’elle doit se présenter à l’homme pour être douce avec le calme de la conscience et la satisfaction des désirs naturels ; au lieu d’exploiter ces dons du seigneur, si rarement accordés par lui dans leur plénitude, voilà ce que tu as fait, toi : tu t’es adonné à la fainéantise, à l’ivresse, et dans l’ivresse tu as trahi un de tes meilleurs amis.

— Au secours ! s’écria Caderousse, je n’ai pas besoin d’un prêtre, mais d’un médecin ; peut-être que je ne suis pas blessé à mort, peut-être que je ne vais pas encore mourir, peut-être qu’on peut me sauver !

— Tu es si bien blessé à mort que, sans les trois gouttes de liqueur que je t’ai données tout à l’heure, tu aurais déjà expiré. Écoute donc !

— Ah ! murmura Caderousse, quel étrange prêtre vous